Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 12.djvu/486

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
482
revue philosophique

à l’entretien de la vie de la société par l’entretien de la vie de chacun de ses membres. À l’exemple de ce que nous avons déjà fait en traitant du type militaire, nous devons ici, en traitant du type industriel, en examiner d’abord la forme idéale.

Si l’action corporative est la première condition d’une société qui a à se conserver en présence de sociétés hostiles, lorsqu’il n’y a pas de sociétés hostiles, l’action corporative n’est plus la première condition.

La continuation de l’existence d’une société suppose d’abord qu’elle ne soit pas détruite comme corps par les ennemis étrangers, et ensuite qu’elle ne soit pas détruite en détail, parce que ses membres n’auront pu s’entretenir et se multiplier. Quand cesse le danger de périr par l’effet de la première cause, il reste seulement le danger de périr par la seconde. L’entretien de la société s’accomplira désormais par l’entretien de ses unités par elles-mêmes et par leur multiplication. Si chacun pourvoit complètement à son propre bien-être et à celui de ses rejetons, le bien-être de la société est implicitement arrivé. Une très petite somme d’action corporative suffit pour ce résultat. Chaque homme peut s’entretenir par son travail, échanger ses produits contre ceux d’autrui, prêter son assistance et recevoir un payement, entrer dans telle ou telle association pour mener une entreprise, petite ou grande, sans obéir à la direction de la société dans son ensemble. Le but que l’action publique a encore à atteindre, c’est de maintenir l’action privée dans certaines limites ; et la somme d’action publique que ce but rend nécessaire diminue d’autant plus que les actions privées se renferment plus d’elles-mêmes dans de justes limites.

De sorte que, si le régime militaire veut une action corporative intrinsèque, ce qui reste de cette action corporative dans le régime industriel est surtout extrinsèque ; les sentiments agressifs de l’homme que la guerre chronique a développés la rendent nécessaire, et elle diminuera peu à peu, à mesure que ces sentiments décroîtront, par l’effet d’une existence paisible durable.

Dans une société organisée pour la vie militaire, il faut que l’individualité de chaque membre soit subordonnée dans sa vie, sa liberté et sa propriété, qu’il soit en tout et pour tout la propriété de l’État ; mais, dans une société organisée sur le type industriel, ce genre de subordination n’est point obligé. Il n’y reste aucune occasion pour l’homme d’être appelé à risquer sa vie en détruisant celle d’autrui ; il n’est point contraint d’abandonner ses affaires pour se soumettre au commandement d’un officier ; et il n’existe plus aucun besoin qui l’oblige à abandonner dans l’intérêt public la portion de ses biens que cet intérêt réclame.