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faut pas dire qu’une société industriellement organisée soit une société où nécessairement il se fait beaucoup d’ouvrage. Quand la société est petite, et que son habitat est si favorable que la vie s’y entretient commodément avec peu d’efforts, les relations sociales qui caractérisent le type industriel peuvent coexister avec une activité productive très modérée. Ce n’est pas par le fait de la diligence de ses membres qu’une société est industrielle au sens que nous donnons à ce mot, c’est par la forme de coopération dans laquelle les membres de cette société accomplissent leurs travaux, que la somme en soit grande ou petite. On comprendra mieux cette distinction en remarquant que, au contraire, il peut y avoir et qu’en fait il y a grande industrie dans des sociétés bâties sur le type militaire. Dans l’ancienne Égypte, il y avait une population ouvrière immense et une énorme production, extrêmement variée. Un autre exemple encore plus frappant d’une société purement militaire par la structure, et dont les membres travaillaient sans relâche, c’est l’ancien Pérou. Nous ne nous occupons pas ici de la quantité de travail, mais des dispositions qui président au travail. Qu’on emploie un régiment à construire des ouvrages en terre, un autre à abattre un bois, un autre à tirer de l’eau ; cela ne fera pas de ces régiments pendant la durée des ces occupations une société industrielle. Les individus unis, qui font ces travaux par ordre, sans droit aux produits, ne sont pas organisés industriellement, quoiqu’ils travaillent industrieusement. Cette remarque est vraie pour tout qui se fait dans une société militaire, dans la mesure où l’enrégimentation y est plus complète.

Il y a lieu aussi de distinguer le type industriel proprement dit d’un type avec lequel on pourrait le confondre, à savoir celui où les individus, occupés exclusivement de production et de distribution, sont soumis à une règle du genre de celle que préconisent les socialistes et les communistes. Cette règle en effet implique sous une autre forme le principe de la coopération forcée. Par moyens directs ou indirects, on empêcherait les individus de s’occuper isolément et avec indépendance selon leur gré, de lutter à l’envi les uns des autres pour offrir des produits contre de l’argent, de louer leurs services aux conditions qu’ils jugent convenables. Il ne saurait y avoir de système artificiel de réglementation du travail qui n’empiète pas sur la marche du système naturel. Plus l’autorité empêche les hommes de prendre entre eux les arrangements qui leur plaisent, plus leur travail est assujetti à l’arbitraire. Qu’importe de quelle manière l’autorité soit constituée, elle soutient avec ceux qu’elle régit la même relation que l’autorité dans une société militaire. Ce