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LA SOCIÉTÉ INDUSTRIELLE

(Dernier article[1])

Nous avons remarqué dans le dernier article que les sociétés, presque toujours condamnées à se défendre contre des ennemis extérieurs, tandis qu’elles ont à subvenir à l’intérieur aux opérations d’entretien, s’offrent d’ordinaire à nous avec un mélange d’organes adaptés à ces fins différentes. Il n’est pas aisé de débrouiller ce mélange. Selon que l’un des deux ordres d’organes prédomine, il pousse ses ramifications parmi ceux de l’autre : on voit par exemple, lorsque le type militaire est très prononcé, que l’ouvrier, ordinairement esclave, n’est pas plus un agent libre que le soldat ; au contraire, lorsque le type industriel domine, le soldat, engagé volontaire à certaines conditions déterminées, participe en quelque sorte de l’état d’ouvrier libre. Dans le premier cas, le système de l’état légal, propre à l’élément militaire, domine l’élément ouvrier ; dans l’autre, au contraire, le système du contrat, propre à l’élément ouvrier, modifie l’élément militaire. C’est surtout l’organisation adaptée à la guerre qui déteint sur celle qui est adaptée à l’industrie. Tandis que le type militaire, constitué d’après la théorie, se montre dans un si grand nombre de sociétés avec des traits qui ne laissent aucun doute sur sa nature essentielle, le type industriel a ses traits si bien masqués par ceux du type militaire encore dominant, que sa forme idéale n’offre nulle part que des spécimens très imparfaits. Cette réflexion nous empêchera de demander des preuves qu’on ne saurait espérer. Ce n’est pas tout : avant de commencer, il faut écarter des idées fausses qui viendraient probablement nous troubler.

En premier lieu, il ne faut pas confondre la société industrielle avec une société industrieuse. Sans doute les membres d’une société organisée industriellement sont d’ordinaire industrieux, et ils sont obligés de l’être quand la société est avancée ; mais il ne

  1. Voir la Revue philosophique. Novembre et décembre 1880. — Janvier, février, mars, avril, juin, juillet, septembre et octobre 1881.