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certaine conscience ; moraliste utilitaire, une certaine vertu. Il pousse successivement son système dans toutes les directions où tendent ceux de ses adversaires ; mais il l’arrête assez à temps pour qu’il ne coïncide pas entièrement avec ces derniers. »

La timidité ou l’inconséquence de Stuart Mill apparaît clairement dans le débat qu’il eut, sur la question même qui nous occupe, avec M. Herbert Spencer. Parti du même principe, voulant, comme Mill, faire porter le raisonnement uniquement sur des choses et non sur des idées, mais poursuivant jusqu’au bout, avec une grande intrépidité logique, les conséquences du principe qu’il avait posé, M. Spencer arrive à déclarer que le syllogisme n’est rien et que la logique n’est plus. Dans tout syllogisme en effet, il faut, suivant ce philosophe, reconnaître quatre termes. C’est une impropriété de langage, on l’a vu plus haut, de dire que Socrate possède les mêmes attributs que les autres hommes : il possède seulement des attributs exactement semblables. « Ceci admis, il en résulte inévitablement que les éléments du syllogisme ne peuvent être réduits à moins de quatre : 1o la série d’attributs qui caractérisent tous ou chacun des objets précédemment connus, qui sont réunis en une certaine classe, laquelle série d’attributs peut être représentée dans la conscience, soit (sous forme plurielle) comme possédée par chaque échantillon de la classe, soit (sous forme singulière) comme possédée par un échantillon qui est pour l’esprit le type de la classe, et qui par conséquent ne peut être considérée comme moins qu’une, quoiqu’elle puisse être considérée comme plus ; 2o l’attribut particulier qui est affirmé dans la majeure, comme accompagnant toujours cette série d’attributs… ; 3o la série d’attributs présentée par l’individu (ou la sous-classe), semblable, mais non la même que la précédente… ; 4o l’attribut particulier qu’on infère comme accompagnant cette série essentiellement semblable d’attributs. Et, si les éléments du syllogisme ne peuvent être réduits à moins de quatre, il est manifeste que l’axiome : Les choses qui coexistent avec la même chose coexistent entre elles, ne comprenant que trois choses, ne peut représenter l’acte mental qui coordonne les éléments du syllogisme[1]. »

En vain Stuart Mill essaye de rester d’accord avec son intrépide continuateur. « Il n’y a, dit-il, entre M. Spencer et moi, qu’une question de mots[2] », et, pour maintenir cet accord, il semble même, abandonnant son principe, oublier que la logique, d’après lui, a pour objet

  1. Princ. de psych., t. II, VI, 6, p. 62, trad. Ribot et Espinas.
  2. Log., II, 2, 3, note.