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V. BROCHARD. — la logique de j. stuart mill

admet comme principe du syllogisme la proposition universelle : Ce qui à une marque a ce dont cette marque est la marque. Mais comme l’a fort bien montré M. Renouvier, ce principe exprime au fond exactement la même chose que le Dictum de omni et nullo : « En effet, je ne trouve pas de définition expresse du mot marque dans les passages dont je m’occupe, mais je ne crois pas me tromper en pensant que marque et attribut ont le même sens ; je ne puis en apercevoir aucun autre, et cette synonymie m’est confirmée par la comparaison de la formule avec les exemples de l’auteur. S’il en est ainsi, l’emploi du mot marque n’est bon qu’à obscurcir la formule, tant que ne se fait pas la substitution à ce mot du mot attribut. Au contraire, faisons la substitution ; la formule énoncée pour le cas de termes universels, — il suffit de s’occuper de celle-là, — devient : Tout ce qui est l’attribut d’un attribut est un attribut de ce dont ce dernier est l’attribut ; c’est-à-dire très précisément : L’attribut de l’attribut d’un sujet est un attribut de ce sujet ; soit, dans la terminologie des notions de classes : Le genre du genre d’une espèce est un genre de cette espèce ; et par conséquent, vu la valeur toute relative que nous donnons aux mots espèce et genre pour exprimer les classes enveloppées et enveloppantes : L’espèce d’une espèce d’un genre est une espèce de ce genre. C’est le Dictum de omni, que j’ai montré être l’expression en d’autres termes de ma propre exposition : Le contenu du contenu est contenu dans le contenant ; ce qui peut être affirmé d’une classe peut être affirmé de tout ce qui est renfermé dans cette classe[1]. » En un mot, Stuart Mill empiriste appelle le Dictum de omni et nullo une solennelle futilité ; Stuart Mill logicien reprend, en modifiant un peu les termes, la même formule. — M. Spencer est à la fois bien plus radical et plus conséquent, lorsqu’il refuse d’admettre le principe du syllogisme formulé par Mill.

La vérité est que Stuart Mill n’a pas su ou n’a pas osé aller jusqu’au bout de sa doctrine. Malgré ses apparences révolutionnaires, c’est un esprit conciliateur et modéré : il s’arrête volontiers à mi-chemin et s’elforce d’unir le passé au présent et à l’avenir : c’est ainsi qu’en morale, suivant une très fine remarque de M. Guyau[2], « il se place dans la plupart des questions à un point de vue intermédiaire, s’accordant avec ses adversaires sur presque tout ce qui concerne le mécanisme mental, apercevant les mêmes phénomènes qu’eux, mais les expliquant dans le fond fort différemment. Déterministe, il admet une certaine liberté ; moraliste inductif, une

  1. Essais de critique générale, t. II, p. 148, 2e édit.
  2. La morale anglaise contemporaine, I, V. Paris, Germer Baillière, 1879.