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pas nécessité de le croire mortel : et, s’il n’y a pas nécessité, il n’y a pas de preuve. Comment concevoir la preuve, ou la science en général, s’il n’y a pas quelque chose de stable et d’absolu, qui ne peut être autrement qu’il n’est ? Il faudrait rayer en logique l’idée même de la preuve, comme on supprime en morale l’idée d’obligation.

À la vérité, Mill ne va pas jusque-là. Il reconnaît qu’on ne peut affirmer légitimement la mortalité du duc de Wellington que si l’on s’est assuré que cet attribut, la mortalité, accompagne toujours les attributs connotés par le mot homme, et d’autre part que le duc de Wellington possède ces derniers attributs. En termes un peu différents, le principe sur lequel repose le syllogisme est celui-ci : Ce qui a une marque a ce dont cette marque est la marque. Il suit rigoureusement de là qu’il n’y a ni syllogisme ni preuve, si l’on n’affirme pas expressément, si l’on ne vérifie pas tout au moins par un acte d’attention que tout homme est mortel, que ces attributs sont unis par un lien constant et universel : il importe peu d’ailleurs pour le moment de savoir comment cette connaissance est obtenue, si c’est par induction ou autrement. Si l’on ne porte pas son attention sur ce point, il n’y aura aucune différence entre les jeux de l’imagination et le raisonnement, entre la fantaisie et la science : les plus vagues analogies seraient des démonstrations légitimes. Mais qui ne voit que c’est précisément cet acte d’attention, nécessaire pour constituer le syllogisme et pour écarter les analogies trompeuses, qu’exprime la proposition générale du syllogisme ? Et par suite comment dire que cette proposition ne fait qu’apporter une « sûreté collatérale », qu’elle est utile sans être nécessaire ? Y a-t-il un raisonnement, si l’on n’a pas encore appris « l’existence de raisons suffisantes pour légitimer la conclusion » ? Et si l’on connaît l’existence de ces raisons, la majeure n’est plus une superfétation : elle est le nervus probandi.

Au fond, la pensée de Mill sur ce point est incertaine et contradictoire. Tantôt il déclare la proposition générale nécessaire ou « indispensable » ; tantôt elle est seulement « utile » ; tantôt elle-est superflue. Il obéit en réalité à deux tendances contraires. Comme philosophe empirique, il voudrait ôter à l’universel toute part dans le raisonnement et se borner à des faits : c’est quand il est sous l’influence de cette tendance qu’il supprime le rôle de la proposition générale et ne voit dans le syllogisme qu’une inférence du particulier au particulier. Tantôt, au contraire, il pense et il parle comme un logicien : c’est alors qu’il comprend la nécessité de la proposition universelle et qu’il la déclare indispensable ; c’est alors aussi qu’il