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V. BROCHARD. — la logique de j. stuart mill

ingénieusement choisis est fidèle ; mais est-elle complète ? N’y a-t-il pas autre chose que ces rapprochements de faits dans la conscience ? Voilà la question, et Mill n’y a pas répondu d’une manière satisfaisante. De même que les concepts et les jugements, tels qu’il les définit, ne sont à vrai dire que des matériaux pour les vrais concepts et les vrais jugements, de même le raisonnement, tel qu’il l’entend, n’est qu’un pseudo-raisonnement, une esquisse qui ne mérite pas de porter le nom de l’œuvre achevée.

Ce que Mill explique, c’est la suggestion de la preuve, mais non pas la preuve elle-même. À ses yeux, ces différents termes : association d’idées, inférence, raisonnement, sont équivalents. Mais c’est là une véritable confusion d’idées. Quand nous disons qu’une chose est la preuve d’une autre, nous avons sans doute l’idée ou le souvenir de la chose connue qui sert à déterminer la chose inconnue ; mais cette idée n’est une preuve que si nous nous croyons fondés en droit à inférer l’une de l’autre. Autre chose est avoir l’idée qui sert de preuve ; autre chose savoir qu’elle est une preuve. La preuve ne peut pas, comme la prose de M. Jourdain, ne pas être connue, en tant que preuve, de celui qui l’invoque. Si elle n’est pas connue, est-elle une preuve au vrai sens du mot ? La raison pour laquelle on affirme une chose est-elle vraiment une raison, si l’on ne sait pas qu’elle l’est ?

C’est ici le point capital du débat. Stuart Mill a bien vu la difficulté, et il a essayé de la résoudre : il distingue l’acte par lequel l’esprit trouve une preuve de celui par lequel il se rend compte de la valeur de cette preuve. « Je ne peux pas accorder, dit-il, que la constatation des preuves de fait, c’est-à-dire de la correction de l’induction, est une partie de l’induction même : à moins de vouloir dire que l’assurance qu’on se donne que ce qu’on a fait est bien fait est une partie de la chose faite… Un copiste soigneux vérifie la transcription en la collationnant avec l’original ; et, si aucune erreur ne s’y rencontre, il reconnaît que la copie a été bien faite ; mais on ne peut pas dire que la révision de la copie fait partie de l’acte de copier. La conclusion dans une induction est tirée des faits apportés en preuve, et non de ce que ces faits ont été reconnus suffisants[1]. » — Nous soutenons que parler de preuve, c’est admettre que les faits invoqués ont été reconnus suffisants, et que, tant qu’ils ne l’ont pas été, il n’y a de preuve en aucun sens.

Sans doute on peut trouver une preuve et raisonner juste sans faire œuvre de logicien et sans se demander si l’on a appliqué les

  1. Log., II, 3, 8.