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devient universel et constant ; il n’est plus dans le temps ou dans le devenir ; il ne faut plus l’exprimer en termes d’expérience, mais en langage intellectuel. C’est pourquoi on ne dit plus que les idées ou les choses se succèdent, ou s’accompagnent les unes les autres : on dit qu’une idée convient à une autre, ou qu’elle est contenue dans une autre (de savoir laquelle de ces expressions doit être préférée, c’est ce dont nous n’avons pas à nous préoccuper ici) ; en un mot, la proposition en logique est aux successions de faits ce que le concept est aux faits particuliers : l’une et l’autre expriment moins les phénomènes que le lien établi entre eux par l’esprit, à ses risques et périls, les phénomènes vus par l’esprit, ainsi que l’exigent et sa nature et les conditions de la science. Quand je dis : le feu cause la chaleur, il est très-vrai, comme le dit Mill, que je ne considère pas mon idée du feu comme causant mon idée de la chaleur. Dans la pratique, c’est bien une relation entre deux phénomènes que j’entends affirmer. Mais, si j’ai le droit d’affirmer cette relation à propos de phénomènes particuliers, c’est en raison du rapport que j’ai établi auparavant entre l’idée du feu et la classe des choses qui causent de la chaleur.

Au fond, Mill ne dit pas autre chose quand il considère la proposition comme signifiant « qu’un groupe d’attributs accompagne constamment un autre groupe[1]. » Il s’efforce de changer les mots, et pour dire la même chose que les conceptualistes, il parle un autre langage.

Cependant si disposé que l’on soit à porter son attention sur les faits d’observation qui ont donné lieu au rapprochement des idées et en sont, au point de vue objectif, la garantie, il faut tenir compte des avantages du langage conceptualiste : il met en pleine lumière, il signale à l’attention ce caractère d’universalité qui, dans le concept, on l’a vu, est l’essentiel. À ne considérer que les faits, on est tenté, l’attention étant absorbée par eux, de ne pas voir les liens qui les unissent ou de n’y pas attacher assez d’importance. Si les faits seuls sont représentés dans ma conscience, je serai porté à dire : Tous les hommes sont blancs, comme je dis : Tous les hommes sont mortels, car, dans mon expérience, ces deux représentations s’associent plus aisément. Il en sera autrement si je veux dire : L’idée d’homme enferme l’idée de blancheur. L’effort que je ferai pour généraliser m’avertira de mon erreur : dirigée vers la classe et détournée des individus, ma pensée ne sera plus tentée d’affirmer ce qui ne s’applique pas au genre tout entier.

  1. Log., I, 5, 4.