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V. BROCHARD. — la logique de j. stuart mill

à l’affaire : ce n’est pas parce que nous nommons une chose que nous découvrons ses ressemblances avec d’autres. Nous la nommons parce que nous découvrons les ressemblances. Connaître une chose, c’est se la décrire à soi-même mentalement. Personne n’a mieux que Mill en ce passage reconnu et marqué la différence qui sépare la sensation de la pensée.

N’est-ce pas d’ailleurs la même doctrine que professe encore Mill lorsque, parlant des jugements généraux, il trouve dans toutes les propositions de ce genre l’affirmation que certains groupes de faits « sont toujours donnés ensemble[1] ». Introduire le mot toujours, n’est-ce pas rétablir ce caractère d’universalité sans lequel la pensée ne se distingue plus de la simple sensation ? N’est-ce pas reconnaître que les faits agissent dans la conscience non plus seulement à titre de faits isolés, mais comme des groupes, des lois ou des idées ? Ce qu’il blâme, c’est la formule conceptualiste par laquelle on exprime le rapport de ces idées : c’est mal parler, à son gré, de dire : L’idée de l’eau contient l’idée de rouiller le fer. Mais c’est encore plus mal parler que de supposer et de donner à entendre que la proposition exprime le fait que l’eau rouille le fer : car on vient de le voir, de l’aveu de Mill, ce qu’elle exprime, c’est que les deux choses, l’eau et la rouille du fer, sont toujours données ensemble, et cela n’est pas un fait, mais une loi. On peut bien dire que chaque fait d’observation contribue pour sa part à suggérer ou à autoriser cette affirmation, et qu’il est à ce titre, pro tanto, le fundamentum relationis ; mais ce que la proposition exprime directement, c’est la ressemblance entre les diverses expériences où nous avons vu l’eau rouiller le fer. Le nom, Mill en convient dans sa polémique avec M. Spencer, exprime non les choses particulières, mais leur ressemblance, le type qui leur est commun ; il n’y a plus qu’un pas à faire pour reconnaître que la proposition exprime non une succession de faits, mais la ressemblance de diverses successions de faits, leur type commun. Si c’est trahir la logique que de considérer le nom ou le concept comme correspondant à un fait, une chose particulière, c’est la trahir tout autant que de considérer la proposition comme exprimant une relation entre deux faits[2]. Les groupes, les classes, les concepts, sont les vrais termes du rapport. Par suite, le rapport lui-même, comme les termes, cesse d’être envisagé comme un événement particulier et empirique : il

  1. Log, I, 5, 4.
  2. Ici encore, il serait aisé de trouver Mill en contradiction avec lui-même. M. Stanley Jevons, dans les articles déjà mentionnés du Contemporary Review, a cité et fort habilement opposé une foule de textes contradictoires (janvier 1878).