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V. BROCHARD. — la logique de j. stuart mill

Mais si la ressemblance, qui est connotée par le nom général, n’est plus une des images qui font partie du groupe, si elle n’est plus une chose réelle, ni une sensation, elle n’existe que dans l’esprit, car qu’est-ce qu’une ressemblance qui ne serait pas aperçue ? Stuart Mill ne rétablit-il pas par là cette forme générale, ce rapport, qui ne va pas sans les images, mais qui est autre chose que les images et que nous l’avons vu nier péremptoirement ? Il n’y a de concept, ou de signification du nom, que si la ressemblance est connue : or la ressemblance n’est pas perçue comme une sensation ; elle est pensée. C’est donc un acte intellectuel qui fait le concept : Mill a passé sans s’en apercevoir du nominalisme au conceptualisme ; il est conceptualiste sans le savoir. M. Spencer ne s’y est pas trompé, et il a constaté expressément la grande différence qui sépare ici sa théorie de celle de Mill[1].

Par suite, on voit que c’est bien à tort que tout à l’heure, parlant pour un instant le langage de Mill, nous consentions à reconnaître une généralisation vague et irréfléchie ; ce rapprochement d’éléments divers, qui se reproduit toujours le même, mais sans qu’on sache qu’il est le même, n’est qu’une ébauche, une ombre de généralisation : il imite la généralisation, comme Leibnitz disait que la mémoire imite la raison ; il est à la généralisation réfléchie, celle qui connaît la ressemblance, ce qu’un bégaiement est à la parole : c’est le premier effort d’une nature qui s’essaye à la généralisation et la pressent, sans y atteindre encore. Ce sont les matériaux de la généralisation ; mais des pierres ne font pas un mur, et une cohue n’est pas une armée.

La théorie du jugement prête le flanc à des critiques analogues. Assurément, il peut arriver à chacun de nous, en apercevant de l’eau, de songer à la rouille du fer : c’est une association d’images comme il s’en produit souvent ; c’est une simple suggestion, ce n’est pas un jugement. On peut même dire que chacun de nos jugements, à l’exception des jugements d’existence, a pour origine, pour condition, pour occasion un de ces rapprochements d’images qui se font naturellement dans l’esprit et qui sont comme l’écho des perceptions passées. Il arrive même que, les images étant aussi accouplées, nous nous attendions à voir se produire les faits auxquels elles correspondent ; il ne faut pas nier qu’ordinairement une sorte de croyance accompagne chacune de nos représentations ou de nos synthèses à mesure qu’elles apparaissent dans l’esprit ; ce n’est que par abstraction qu’on isole l’idée et la croyance. Mais, même alors, les

  1. Princ. de psychol., p. 63, note.