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quelque chose ; qu’en fait nous pensons l’universel. Ce point accordé, elle existe. Si on le lui refuse, elle disparaît.

Cependant Mill l’a refusé et a constitué une logique. C’est qu’il ne l’a refusé qu’en paroles, et après avoir dit expressément que « nous ne pensons pas par concepts » il ramène comme à la dérobée, ces concepts qu’il a prétendu exclure, et dont le logicien ne peut se passer. Rien ne mettra mieux en lumière cette inconsistance de la pensée de Mill que la discussion qu’il eut, sur ce point, avec M. Hebert Spencer. M. Spencer, poussant jusqu’à ses extrêmes conséquences le principe posé par Mill, à refusé de reconnaître aux concepts, même tels que les entend Mill, aucun rôle dans le travail de la pensée. Pour lui, l’idée d’homme par exemple, dans le paradigme ordinaire du syllogisme, n’apparaît pas dans la pensée. On ne pense pas aux qualités communes à tous les hommes quand on dit que Socrate est homme, car Socrate ne possède pas les mêmes attributs que ceux qui sont connotés par le mot homme, mais seulement des attributs exactement semblables[1] : l’humanité doit être considérée comme un attribut différent dans chaque homme différent. En d’autres termes, il n’y a plus du tout d’idée générale, mais seulement des faits particuliers ; ce sont bien cette fois les choses réelles, et elles seules, qui sont l’objet de la pensée. Mais Stuart Mill ne veut pas aller jusque-là. « Tout nom général, dit-il, abstrait ou concret, dénote ou connote une ou plusieurs ressemblances (entre les sensations produites en nous par les objets extérieurs). On ne niera probablement pas que, si cent sensations sont absolument semblables, on devra dire que leur ressemblance est une ressemblance, et non qu’elle consiste en cent ressemblances qui se ressemblent l’une à l’autre. Les choses comparées sont multiples, mais ce qui leur est commun à toutes doit être considéré comme unique, de même précisément que le nom est conçu comme un, quoiqu’il corresponde à des sensations de son numériquement différentes, chaque fois qu’il est prononcé. Le terme général homme ne connote pas les sensations dérivées en une fois d’un homme et qui, évanouies, ne peuvent pas plus revenir que le même éclair. Il connote le type général des sensations constamment dérivées de tous les hommes, et le pouvoir (toujours un) de causer les sensations de ce type[2]. »

Ainsi, tout à l’heure le nom ne servait qu’à évoquer les images concrètes : à présent, il désigne non plus ces images, mais la ressemblance constante que les groupes d’images présentent entre eux.

  1. Principes de psychologie, t. II, VI, 6, p. 60, trad. Ribot et Espinas.
  2. Log. II, 2, 3, note.