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V. BROCHARD. — la logique de j. stuart mill

La théorie du raisonnement doit, à son tour, être transformée. Si l’on admet avec les anciens logiciens que la conclusion d’un Syllogisme est tirée de la majeure, comment répondre à ceux qui signalent dans tout syllogisme une pétition de principe ? Car il est évident que la proposition générale : Tous les hommes sont mortels, n’est vraie que si la proposition particulière : Le duc de Wellington est mortel, l’est aussi. Non pas sans doute qu’en exprimant la première on sache que la seconde est vraie[1], mais on l’affirme, et le paralogisme est évident à apporter en preuve de la mortalité d’un homme une assertion générale qui la présuppose. Puisque la proposition générale n’est vraie objectivement, absolument parlant, que si la particulière l’est aussi, on n’a pas le droit de l’affirmer tant qu’on ne sait pas si cette dernière est vraie, c’est-à-dire tant qu’on n’a pas résolu la question qu’elle doit servir à résoudre. Les observations du passé, les notes qu’on a prises sous la dictée de l’expérience ne peuvent pas d’elles-mêmes contenir l’avenir, à moins de supposer que le carnet où elles sont consignées « ne soit écrit, comme le Coran, avec une plume de l’archange Gabriel[2]. »

De plus, si le raisonnement est une manière de montrer qu’une notion est une partie d’une autre notion, on ne peut comprendre que le rapport entre deux notions également présentes à l’esprit, insaisissable à la conscience immédiate, puisse. être découvert à l’aide d’une troisième. « A, B, C sont trois concepts, et nous sommes Supposés connaître que A est une partie de B, B une partie de C ; mais, jusqu’à ce que nous mettions ces deux propositions ensemble, nous ne savons pas que A est une partie de C. Nous avons perçu B en C intuitivement par comparaison directe : mais qu’est-ce que B ? Par supposition, B est, et on perçoit qu’il est, A plus quelque chose. Nous avons donc perçu par intuition directe que A plus quelque chose est une partie de C, sans percevoir que A est une partie de C[3]. »

Psychologiquement, il n’est pas vrai que pour arriver à cette proposition : Le duc de Wellington est mortel, la pensée soit obligée de passer par cette proposition : Tous les hommes sont mortels. Si l’on va au fond des choses, une observation attentive découvre que quand nous affirmons la première de ces propositions, c’est simplement parce que nous nous rappelons la mort de certains individus, Jean, Thomas, etc. La véritable raison de notre assertion, les vrais garants au témoignage desquels la pensée se réfère, ce sont, ici

  1. Log. II, 3, 2, note.
  2. Log. II, 3, 3, note.
  3. Phil. de Hamilton, ch. XIX, p. 47.