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d’interpréter les propositions en extension[1]. Quand je dis : Les hommes sont mortels, je ne veux pas entendre que l’espèce humaine fait partie du genre mortel, mais bien que l’attribut mortel fait partie de ceux que possèdent les hommes. Tout au moins faudrait-il interpréter la proposition en compréhension : « on peut bien écrire les propositions et les raisonnements en extension, mais on les comprend toujours en compréhension[2]. » Mais c’est encore mal s’exprimer que de dire : L’idée d’homme contient l’attribut mortel. Ce qui est vrai, c’est que les attributs connotés par le mot homme et les attributs connotés par le mot mortel sont toujours donnés ensemble, que la mortalité réelle accompagne toujours les attributs réels de l’homme[3]. Comme le nom exprime des attributs qui sont toujours donnés ensemble, la proposition exprime deux collections d’attributs qui ne vont pas l’une sans l’autre.

Un point qu’il importe de noter, c’est que, dans cette théorie, il est impossible de faire abstraction de la croyance : juger, avant tout, c’est croire. L’ancienne logique pouvait, comme les mathématiques, considérer les idées dans l’esprit à titre de simples pensées, et quelle que soit la réalité extérieure. Mais puisque, pour Stuart Mill, les concepts ne sont rien, puisque le véritable objet de la pensée ce sont les phénomènes extérieurs, la croyance ne peut plus être un seul instant négligée : car c’est par la croyance que les phénomènes représentés dans l’esprit sont connus comme extérieurs et réels. Il est donc impossible « de séparer l’idée du jugement de l’idée de la vérité du jugement[4] ». La croyance est l’équivalent subjectif de la réalité objective. Ce n’est pas que Mill considère la logique comme ayant pour mission de déterminer la nature et les conditions de la croyance ; c’est là un des plus difficiles problèmes de la métaphysique[5]. Il ne s’attache qu’aux croyances concrètes, à la croyance formée, de quelque manière que ce soit, aux choses crues. Par cette théorie, qui est une conséquence rigoureuse de ses principes, l’idée même de la logique est complètement bouleversée : la logique n’est plus une science formelle, ou du moins il faut distinguer la logique de la conséquence (consistency), qui a pour objet les rapports des idées entre elles, et la logique de la vérité, qui a pour objet les choses elles-mêmes, qui ne distingue pas la matière et la forme, et qui est seule intéressante[6].

  1. Phil. de Hamilton, ch. XVIII, p. 411.
  2. Ibid., p. 413.
  3. Log., I, 5, 4.
  4. Philos. de Hamilton, ch. XVIII, p. 808.
  5. Log. I, 5, 1.
  6. Phil. de Ham., ch. XX, p. 439, 448.