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V. BROCHARD. — la logique de j. stuart mill

connotation et de dénotation devront être employés : l’un exprime seulement ce fait qu’un sujet possède certains attributs ; l’autre désigne les sujets qui possèdent les mêmes attributs. Il suit de là que « la signification des mots n’est pas dans ce qu’ils dénotent, mais dans ce qu’ils connotent[1]. »

Cette théorie des noms exige une transformation radicale de la théorie du jugement ou de la proposition. Il est absurde de dire que juger c’est faire entrer une chose ou une idée dans une autre idée, c’est-à-dire dans une classe ou un genre. Quand je dis : « Le feu cause la chaleur, je n’entends pas affirmer que mon idée du feu cause mon idée de la chaleur ; autant vaudrait dire que bêcher la terre, c’est mettre une idée dans une autre idée[2]… « Les noms ne sont pas destinés seulement à faire concevoir aux autres ce que nous concevons, mais aussi à les informer de ce que nous croyons. Or, lorsque j’emploie un nom pour exprimer une croyance, c’est de la croyance à la chose, et non de la croyance à mon idée de la chose, que j’entends parler[3]. »

D’ailleurs, s’il en était autrement, il faudrait au préalable avoir fait provision de concepts ; mais comment former un concept sans juger[4] ? Et « si la solution du débat entre Copernic et Ptolémée eût dépendu de la question de savoir si nous concevons la terre en mouvement et le soleil au repos, ou le soleil en mouvement et la terre au repos, je suis bien sûr que la victoire serait restée à Ptolémée[5]. »

Psychologiquement, juger, c’est affirmer qu’un fait ou un groupe de faits est dans la réalité accompagné d’un autre fait ou d’un autre groupe de faits. Quand je dis : L’eau rouille le fer, j’entends simplement exprimer que l’un des phénomènes accompagne l’autre. Ce qui est affirmé dans toute proposition, ce qui est le fundamentum relationis, ce n’est pas une ressemblance entre les idées, mais une relation objective entre les faits, tantôt une coexistence, tantôt une succession, où une causation, ou une ressemblance[6], toujours quelque chose que l’esprit constate, mais qui est sans lui. Ici encore, c’est la réalité ou ce qui dans l’esprit en est l’équivalent, qui est le seul objet de la conscience.

Par suite, en logique, il faudra cesser d’envisager les termes comme se contenant les uns les autres : les cercles d’Euler représentent fort mal les opérations de l’esprit. D’abord il est absurde

  1. Log., I, 2, 5.
  2. Log., I, 5, 1.
  3. Log., I, 2, 1.
  4. Log., I, 5, 1.
  5. Phil. de Hamilton, ch. XVIII, p. 404.
  6. Log., I, 5, 6.