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les mêmes caractères, en raison, objectivement, de leur constance chez tous les individus réels, subjectivement, de l’habitude correspondante à cette constance, qui apparaissent au premier rang. « La seule réalité qu’il y a dans le concept, c’est que, de façon ou d’autre, nous devenons aptes, et nous sommes amenés, non seulement une fois et par accident, mais dans le cours ordinaire de nos pensées, à porter une attention spéciale et plus ou moins exclusive sur certaines parties de la présentation des sens où de la représentation de l’imagination dont nous avons conscience[1]. » En d’autres termes, l’unité de ce groupe d’images ou de sensations qui forment l’idée générale n’est pas l’œuvre réfléchie de l’esprit : elle n’y est même pas représentée comme objet distinct de conscience. Cette unité est dans les choses : ou du moins (car il faut toujours finir par l’exprimer en termes de conscience) elle n’est représentée dans l’esprit que par une habitude. Cette habitude est en nous, mais nous n’y pensons pas ; l’esprit en est possédé et agit sous son influence, sans la connaître ; elle ne se manifeste que par ses actes, c’est-à-dire en ramenant constamment au premier rang les mêmes parties de différents touts. Par elle-même, elle ne compte pas comme objet de pensée : elle s’efface, son office achevé, comme un valet quand il a introduit les visiteurs.

Cette habitude s’incarne en quelque sorte dans le nom. C’est le nom qui, inséparablement associé aux diverses qualités qui sont communes à plusieurs êtres, les ramène au premier plan dans chaque représentation particulière. On voit par là quel est le rôle dés noms : c’est précisément celui de l’habitude qu’on vient de définir. Les nominalistes ont souvent exagéré l’importance des noms en leur attribuant je ne sais quel mystérieux pouvoir analogue à celui que d’autres prêtaient aux idées. Rien de plus absurde que de supposer, comme Condillac à paru le faire, que les noms puissent penser pour nous[2]. Lie nom n’est qu’un phénomène introducteur, qui disparaît quand il a aidé à détacher d’une représentation particulière les qualités communes à plusieurs êtres. Ces derniers phénomènes sont les seuls objets de a conscience, les seuls agents, les seuls ressorts de l’activité intellectuelle.

Par suite, en logique, il faudra renoncer à parler des idées et ne s’occuper que des noms. Par la même raison, on devra écarter les expressions qui impliquent la réalité de l’idée comme chose distincte, la compréhension et l’extension. Une idée ne comprend rien et ne s’étend à rien, puisqu’elle n’est rien. Seuls, les termes de

  1. Phil. de Ham., ch. XVII p. 378.
  2. Log, II, 2, 2.