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si considérable. Il n’est pas absolument sûr qu’un livre de logique de valeur égale ou même supérieure (la chose est possible), écrit par un Français, eût obtenu d’emblée l’accueil flatteur qu’a rencontré le Système de logique de Stuart Mill.

Il n’y a là rien à regretter : peut-être faut-il s’éprendre des doctrines pour les bien juger. Il faut pourtant que la critique ait son heure. Elle l’a eue en Angleterre, longtemps, à ce qu’il semble, après que la doctrine de Mill s’était imposée à l’enseignement public. M. Stanley Jevons, que les règlements de l’Université de Londres obligeaient à en faire le sujet de ses leçons, a fini, après dix ans d’étude, par en apercevoir les défauts : il a secoué vivement le joug et a consacré au Système de logique dans le Contemporary Review une série articles très étudiés et très solides qui forment un véritable réquisitoire, dénonçant l’enseignement de cette doctrine comme funeste à la jeunesse[1], et allant jusqu’à refuser à Mill les qualités d’esprit du logicien[2]. Ce jugement nous semble excessif en sa sévérité. En France, si l’on excepte les remarquables chapitres que M. Ch. Renouvier a joints à la nouvelle é n des Essais de critique générale (1er essai, t. II), et le livre de M. Taine, qui adopte, sauf quelques réserves, les principales conclusions du philosophe anglais, l’ensemble de cette logique n’a encore été l’objet d’aucune étude spéciale[3] : c’est cette étude que nous voudrions tenter en nous attachant d’abord à l’idée que Stuart Mill s’est faite de la logique déductive. A-t-il réussi, où jusqu’à quel point a-t-il réussi dans sa tentative pour modifier les fondements de la déduction ? Faut-il abandonner définitivement le point de vue des anciens logiciens ? Voilà les questions sur lesquelles il semble que la critique peut maintenant se prononcer.

L’entreprise présente plus d’une difficulté. L’exemple de William Hamilton, logicien de profession, si réputé parmi ses contemporains, qui semblait si sûr de lui, et pourtant si vivement critiqué par

  1. « During the last ten years the conviction has gradually grown upon my mind that Mill’s authority is doing immense injury to the cause of philosophy and good intellectual training in England. Nothing surely can. do so much intellectual harm as a body of thorougly illogicai writings, which are forced upon students and teachers by the weight of Mill’s reputation, and the hold which his school has obtained upon the universities » (The Contemporary Review, décembre 1877, p. 169.)
  2. « Mill’s mind was essentially illogical… (Ibid.) To sum up, there is nothing in logie which he has not touched, and he has touched nothing without confounding it. » (Ibid., p, 170.)
  3. Il faut ajouter, depuis que cet article est écrit, une intéressante et forte étude publiée ici même sur la Valeur du syllogisme, par M. Paul Janet (Revue philos. du 1er août 1881), et qui examine une des questions traitées par Mill, Nous y reviendrons plus loin.