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appartienne à beaucoup de nos rêves, est une unité subjective d’émotion. C’est là la base de l’harmonie dans la poésie lyrique, où la succession des images se fait le plus souvent d’après le sentiment. Ainsi, dans In memoriam de Tennyson, les images qui flottent dans l’esprit du poète sont reliées bien plutôt par le ton d’une émotion commune que par la continuité logique. Le rêve a été comparé à une composition poétique, et certes beaucoup d’entre eux sont bâtis sur le fond d’un sentiment lyrique. On pourrait les appeler nos drames lyriques. » L’auteur rapporte plusieurs cas curieux où l’analogie de sentiment est évidemment le lien commun entre les images (p. 165-168).

II. Les chapitres VIII et IX sont consacrés aux illusions de la conscience ou plus exactement de l’observation intérieure (introspection), en entendant par ce mot « la connaissance réfléchie immédiate que l’esprit a de ses propres états comme tels » (p. 189). Ici encore, l’auteur divise les illusions en actives et passives. Nous avons une tendance à traduire nos sentiments internes par des termes empruntés aux impressions extérieures ; par exemple, cette idée m’a frappé, ce chagrin est un fardeau : l’enfant et le sauvage ont une tendance à considérer leurs pensées comme des voix intérieures.

L’observation interne, lorsqu’elle s’applique à un sentiment actuel et intense, est au-dessus du soupçon ; mais rarement le cas est aussi simple. L’auteur énumère les diverses cases qui peuvent la vicier : Il semble bien simple de pouvoir décider si l’on s’amuse, et cependant très souvent on se trompe sur ce point. C’est ainsi qu’on a dit que les hommes vont en société, moins pour avoir du plaisir que pour croire qu’ils en ont, et, pourvu qu’ils ne soient pas blasés, ils se trompent eux et les autres. La vie sociale nous impose aussi certains sentiments convenus qu’on finit par prendre pour réels. Les grandes illusions de la conscience se rencontrent surtout dans la vie morale et la vie religieuse. Il y a à cet égard une opposition frappante entre l’opinion de certains philosophes et celle des théologiens : ceux-ci-ont souvent soutenu qu’il est bien difficile dans nos sentiments de distinguer le vrai du faux ; ceux-là considèrent le verdict de la conscience comme ayant une suprême autorité.

Les illusions de l’observation intérieure sont remarquables, surtout lorsqu’elle s’applique aux états réputés simples, mais dont la simplicité n’est qu’apparente. Ainsi, lorsqu’on dit que l’idée d’espace ne contient aucune représentation de la sensation musculaire, cette affirmation n’a d’autre fondement que l’impossibilité d’analyser clairement cette idée, L’auteur trouve que, après une certaine pratique, il reconnaît beaucoup mieux cet élément qu’à l’origine, ce qui répond à ce que dit Helmholtz relativement aux sensations élémentaires.

M. Sully termine cette section en examinant la valeur de la méthode « introspective », Il croit que les erreurs de cette méthode, quoique nombreuses, sont trop légères pour que l’observation intérieure soit considérée comme indigne de confiance et sans solidité. Cette faculté