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dans l’homme, à une série de consciences d’un degré inférieur, échelonnées le long de la moelle épinière. De même le cerveau, étant en nous la partie maîtresse, n’absorbe-t-il pas en lui toute conscience et toute sensibilité, tandis que les ganglions, semblables aux fils du télégraphe électrique, ne seraient que des appareils intermédiaires de transmission ? Le même ganglion, quand il est au sommet pour ainsi dire de la substance nerveuse d’un animal complet, quand il est le centre auquel tout aboutit, quand il est vraiment un cerveau, peut bien être doué de sensibilité et de conscience, tandis que le ganglion analogue dans le corps humain, déchu de ce rang supérieur, est réduit à n’être plus qu’une dépendance et un instrument une pile de renfort, suivant l’image dont se sert M. Bertrand. Il n’a pu s’empêcher de se poser à lui-même une objection qui se présente si naturellement à l’esprit, et il convient avec bonne foi qu’elle est embarrassante. Elle l’est en effet beaucoup ; elle l’est si bien qu’il ne tente pas même de la résoudre.

Cependant, pour nous contraindre par un dernier argument à embrasser son polyzoïsme, il prétend nous placer dans l’alternative ou de revenir à l’automatisme, ou de ne pas rejeter cette légion de consciences rudimentaires, Il nous semble que cette alternative n’existe pas. Tout dans le corps est animé, nous l’admettons, tout y est susceptible de devenir objet de la conscience, s’il s’agit de l’effort et de la sensibilité, ou objet de perception s’il s’agit des organes et de leur jeu. Mais pour avoir la raison de cette vie, de cette sensibilité partout répandue, ne suffit-il pas de la faire découler d’une source supérieure, d’une source unique ? S’il n’est pas une cellule du corps qui ne soit animée, c’est parce que toutes sont en participation directe avec la vie de cette âme unique dans le sein de laquelle elles sont, pour ainsi dire, plongées. Qu’est-il besoin de mettre plusieurs êtres en un seul et de multiplier les centres là où un seul suffit ? Rien ne ressemble moins à l’automatisme que cette imprégnation universelle de vie et de sensibilité, quoique provenant non d’une foule de petites sources distinctes, mais d’une âme, d’une conscience unique qui préside à tout, qui fait tout et qui anime tout. Le polyzoïsme ne compense donc par aucun avantage l’inconvénient de rendre inexplicable l’unité de notre nature et de la conscience.

À part ce retour malheureux à van Helmont et à ses archées, à part quelques autres critiques sur la confusion de la conscience et de la perception, nous sommes de l’avis de l’auteur sur la thèse principale qu’il a soutenue ; nous croyons qu’il a mis en plus grande lumière cette intimité étroite dans laquelle vivent l’âme et le corps, sans les confondre, comme certains physiologistes, l’un avec l’autre.

M. Bertrand est plein de foi et d’ardeur philosophique ; c’est un esprit vif, curieux, subtil, pénétrant, original, auquel il manque encore, ce qu’il acquerra plus tard, car il est jeune, une plus forte discipline, Il à peine à se contenir dans les limites du sujet dont il a si bien exploré certaines parties ; il est tenté à chaque instant de s’en échap-