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la grande conscience une simple somme, un agrégat de ces petites consciences, quoique la première erreur semble devoir conduire à la seconde. Il combat même et il réfute avec une grande force de dialectique toutes les opinions qui portent atteinte à l’unité comme à la spiritualité de cette conscience maitresse. Ainsi, d’abord il réduit à leur juste valeur, il remet, pour ainsi dire, à leur place les diverses définitions ou explications physiologiques que plusieurs auteurs ont prétendu donner de la conscience elle-même. Selon les uns, la conscience serait la force vitale accumulée ; selon d’autres, le conflit de deux forces ; selon d’autres, la désintégration des éléments nerveux. Il montre bien qu’il y a là une erreur commune qui consiste à croire qu’on a analysé la conscience quand on a seulement analysé les conditions physiologiques.

De même, loin d’en faire une somme, une résultante de toutes ces petites consciences, il la pose comme un fait primordial et irréductible. Mais, plus il est irréprochable sur la vraie nature de la conscience, plus il lui devient difficile, à ce qu’il nous semble, de justifier cette adjonction des petites consciences. Quelles raisons allègue-t-il en leur faveur et quels avantages prétend-il en retirer ?

Si l’on ne peut, sans pétition de principe, rendre compte de la conscience par une synthèse quelconque d’éléments à moins d’y introduire, dès le début, sa propre conscience, il pense que, par analogie, on est conduit à attribuer une conscience aux centres nerveux inférieurs, Il allègue même, comme une preuve en faveur de ces petites consciences analogues à la conscience personnelle, et situées dans les profondeurs de l’organisme, l’illusion persistante, suivant lui, qui consiste à anéantir la conscience au profit de prétendus éléments qui constitueraient sa réalité. Quant à nous, au lieu d’apercevoir cette illusion persistante dont il se prévaut et qu’il a si bien combattue, nous verrions plutôt, à consulter l’histoire, la persistance toute contraire, malgré quelques exceptions, à admettre l’unité de la conscience. Dans tous les cas, nous ne comprenons pas comment cette erreur serait une raison d’en admettre une autre non moins grave, celle de la multiplicité de petites consciences dans les centres nerveux.

Il semble s’être laissé séduire par l’avantage tout à fait chimérique d’en tirer une explication de l’action de l’âme sur le corps. On la comprendra mieux, dit-il, cette action si l’hétérogène est ramené à l’homogène. Quel moyen en effet de comprendre la conscience du corps, s’il n’y avait pas quelque conscience dans le corps ? On conçoit qu’une intelligence puisse agir sur d’autres intelligences, que l’esprit central puisse agir sur des esprits momentanés, d’après une expression empruntée à Leibniz, et dont le corps serait un agrégat, mais non qu’il puisse agir sur la matière brute.

Ainsi ces consciences élémentaires sont comme des moyens termes qu’il intercale entre l’âme et le corps. Quoi donc ! ces petites consciences, si elles sont réellement des consciences, des esprits, même