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selon l’auteur, qui ne soit vraie en même temps qu’incomplète. L’âme en effet est immédiatement présente à tout le cerveau, ou même à toute la substance cérébrale, et non à une partie quelconque.

Il admet dans le cerveau des localisations de facultés, mais non pas au sens où quelques-uns l’entendent ou l’ont entendu. Ces localisations sont notre œuvre : elles sont acquises plutôt qu’innées. L’âme est présente à tout le cerveau, mais par ses facultés, qu’elle y localise, de même qu’elle localise ses sensations dans les autres parties du corps.

Malgré le juste discrédit où est tombée la phrénologie, il croit à la réalité de ces localisations, tout autres, il est vrai, que celles de Gall, qui ne connaissait du cerveau que la surface. Ainsi il semble acquis à la science que les corps striés sont des centres primaires et secondaires du mouvement, les couches optiques des centres primaires et secondaires de la sensibilité, de même que la circonvolution de Broca est le siège de la faculté du langage. Les théories des facultés de l’âme sont donc aujourd’hui fort injustement raillées par la plupart des positivistes et des nouveaux psychologues. Nous l’approuvons fort de prendre hautement parti pour ces pauvres facultés si dédaigneusement traitées et exclues même du programme de philosophie des lycées.

Qui dune aujourd’hui, comme on nous en accuse, s’avise de personnifier les facultés par une sorte de mythologie psychologique ? Quel psychologue y voit autre chose que ce qu’il faut y voir, c’est-à-dire les divers aspects de l’activité de la même âme ? Pour supprimer les facultés en psychologie, on prend le moment même où la physiologie les localise dans le cerveau avec une précision, avec une certitude toutes nouvelles. Comment le physiologiste s’orientera t-il dans ces délicates et difficiles localisations, s’il n’a pour point de départ de ses recherches une bonne théorie des facultés dé l’âme ? Mauvaise psychologie, mauvaise physiologie ; ces deux choses-là se tiennent nécessairement, Etonnons-nous aussi avec M. Bertrand de la mollesse avec laquelle les psychologues se défendent contre ce vol manifeste qui leur est fait par les physiologistes.

Mais des facultés, si elles ne sont pas chimériques, supposent une activité substantielle, un être qui agit ou, en d’autres termes, une substance, Comment se fait-il que M. Bertrand, si zélé en faveur des facultés, suive docilement la mode du jour en lançant lui aussi l’anathème contre les substances ? Il faut rayer, selon lui, le nom de substance de la psychologie. Pourquoi cela ? Parce que, dit-il, il n’y a rien de passif dans l’âme, comme si, surtout depuis Leibniz, passivité et substance étaient choses synonymes, comme si les facultés, encore une fois, ne supposaient pas une activité substantielle. Pourquoi donc, par une véritable contradiction, loue-t-il si fort Maine de Biran d’avoir montré la conscience atteignant la substance des modifications, la cause des faits, l’être en soi ? Les facultés et les substances ne se séparent pas ; on ne peut proscrire les unes sans proscrire les autres en même temps au profit du phénoménisme et de l’associationisme. L’âme fait encore plus