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ANALYSES. — BERTRAND. Aperception du corps humain.

ses erreurs et ses hallucinations, Un des plus neufs et des plus intéressants chapitres du livre est consacré à ces hallucinations du sens du corps. Telles sont les illusions de l’amputé qui place la douleur dans le nombre qu’il n’a plus, du coxalgique qui met dans le genou le mal qu’il a dans la hanche ; l’enfant qui a la colique croit avoir avalé un serpent. Tel se croit changé en verre ou en pierre. Il cite bon nombre de faits curieux du même genre. Les illusions portent même sur la personnalité propre de l’individu ; ici, la question n’a plus seulement un intérêt spéculatif, mais un intérêt moral. Aussi a-t-il pris particulièrement à tâche d’écarter les objections contre cette notion de la personnalité, qui dans ce cas est en jeu et qui de nos jours est si vivement attaquée.

Il va droit aux faits en apparence les plus redoutables, tels que le dédoublement de deux mémoires alternantes, sans lien aucun l’une avec l’autre, le passage alternatif d’un même individu par deux états différents, par des métamorphoses périodiques d’un personnage dans un autre, sans qu’aucun souvenir relie les deux états à travers la crise qui les sépare. Par des analyses d’une grande sagacité et par les raisonnements qu’il en déduit, il montre que, même en ces cas extraordinaires, la notion d’identité, plus ou moins altérée, n’est pas détruite, et que le moi ne s’est nullement dédoublé. « Pour dire : j’ai oublié, il faut déjà se reconnaître comme identique. Pour faire un effort, pour retrouver un souvenir effacé, il faut déjà se souvenir faiblement. La prétendue double personnalité n’est pas même une double individualité ; c’est l’aperception subjective d’un profond changement physiologique… Ni le dédoublement du moi ne suppose la perte de la mémoire et de l’identité personnelle, ni la folie ne suppose la perte de la raison. Le cœur à devancé la science. Cesse-t-on d’éprouver de l’affection pour le malheureux qui est dans son second état, sous prétexte qu’il n’est plus lui-même ? »

Ce qui disparaît dans l’amnésie, ce ne sont pas tant les qualités générales, les aptitudes, les dispositions de cœur et d’intelligence qui caractérisent particulièrement l’esprit, que le matériel des faits, des détails, des raisonnements, que tout ce qui est matérialisé, dit-il, dans le cerveau. C’est ainsi qu’il interprète le cas célèbre de Félida, dont il a été depuis quelque temps si souvent question, et son amnésie périodique observée par le docteur Azam. On voit là comme deux individus différents entés en quelque sorte sur la même personne ; ce qui parait changé, ce n’est que l’individualité, l’enveloppe, pour ainsi dire, de la personnalité,

L’âme non seulement connaît les organes du corps, mais elle les façonne par l’effort plus ou moins énergique qu’elle déploie. Ainsi c’est l’âme, dit-il, qui dresse son cerveau et qui en fait un admirable organe où elle localise ses facultés. Quelques-unes des vues de l’auteur sur le cerveau méritent d’être signalées. On a successivement gratifié toutes les parties du cerveau, et non pas seulement la glande pinéale, du privilège de loger l’âme ; de toutes ces hypothèses, il n’en est pas une,