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G. GUÉROULT. — du rôle du mouvement

que j’aie jamais connus. Nous étions déjà dans une disposition d’esprit facile à concevoir pour tous ceux qui ont été renfermés à Paris du 15 septembre 1870 au 30 janvier 1871. En entrant dans la salle, nous apprenons, par Mme Edmond Adam, que Le Bourget, si brillamment enlevé l’avant-veille aux Prussiens, avait été repris par eux, sans qu’on eût fait de grands efforts pour le leur disputer. Puis, tout à coup, l’orchestre frappe la quinte fa ut, et les violons entament la phrase si connue par où débute la symphonie pastoral. Le contraste de ce mouvement d’une tranquillité, d’une sérénité parfaite, avec les émotions qui nous agitaient, fut si violent, si douloureux, qu’tl nous fut impossible de rester. Nous dûmes quitter la place dès les premières mesures.

Nous reviendrons plus bas sur la musique à propos de son association avec la poésie.

2o Poésie.

Il semble assez difficile, au premier abord, de rattacher à la notion de mouvement les impressions si vives que nous cause la poésie. C’est que, la plupart du temps, l’auditeur ne distingue pas assez nettement. dans l’émotion qu’il éprouve, la part qui revient aux idées, aux images évoquées devant lui, et celle qu’il faut attribuer, suivant une très juste expression du langage ordinaire, à l’harmonie même du vers. H est aisé de se convaincre pourtant que ce dernier élément joue le rôle principal. Il suffit d’estropier quelques-uns des vers consacrés par l’admiration universelle, sans changer le sens. L’effet artistique est immédiatement supprimé.

Dans le beau vers de Racine :

Le jour n’est pas plus pur que le fond de mon cœur,

l’idée, après tout, n’a rien de bien extraordinaire, et cependant, quand vous avez affaire à un lecteur ou à un acteur habile, l’impression de ces douze monosyllabes est très grande.

Dites, en simple prose : « Le jour n’est certainement pas plus pur que le fond de mon cœur, » et l’auditeur n’éprouvera aucune émotion. C’est évidemment que les syllabes, dans l’ordre où Racine les a placées, avec les repos commandés par les cadences et les accents toniques, forment une sorte de musique, où la voix prend et reprend son élan, comme un oiseau qui planerait quelques secondes après chaque battement d’aile.