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ANALYSES. — BERTRAND. Aperception du corps humain.

La tonicité constante de tous les organes du corps, image, dit-il, de l’indéfectible activité de l’âme, voilà par où d’abord se révèle, de la manière la plus générale, cet effort immanent et transitif. C’est avec une rare finesse d’observation, avec les vues les plus pénétrantes et les plus ingénieuses, que l’auteur nous fait suivre l’âme, pour ainsi dire pas à pas, dans l’investigation des diverses parties du corps qu’elle informe et qu’elle anime. Nous la voyons à l’œuvre dans ce curieux travail de topographie intérieure, parcourant et fouillant, pour ainsi dire, tous les coins et les recoins de sa demeure, sans nulle leçon préalable d’anatomie ou de physiologie,

Comment douter, pour peu qu’on veuille y prendre garde, de cette connaissance du corps que l’âme acquiert ainsi par le dedans indépendamment de celle qui nous vient des yeux, des mains, d’un miroir, des livres et de toute expérience extérieure ? Je me saisis me parcourant pour ainsi dire tout entier, promenant mon attention sur toutes les parties intérieures de mon corps, depuis la tête jusqu’aux pieds, du bout de la main droite au bout de la main gauche, et traversant tout le corps en largeur comme en hauteur. En fixant son attention sur un point quelconque du corps, chacun peut y faire naître une sensation. Enfin n’est-il pas vrai qu’à certains moments on s’écoute vivre ?

Ce corps dont elle est inséparable, ce corps qui lui est inné est la première et la constante étude de l’âme dont M. Bertrand nous marque les degrés principaux et le progrès. La première notion qu’elle en tire est celle de l’étendue intérieure, de l’étendue physiologique et vivante, contemporaine de la connaissance du corps, qui elle-même ne se sépare pas de celle de l’âme. Il remarque, non sans raison, que prétendre expliquer l’étendue par la vue ou le toucher, c’est oublier que l’organe est perçu avant de percevoir. Telle est l’étendue sur laquelle l’âme trace d’abord les grandes lignes de son domaine, puis les détails d’un atlas corporel à son usage. C’est comme un territoire inconnu sur lequel elle s’avance peu à peu et dont elle fait la conquête par une suite d’investissements successifs, non pas en allant du dehors au dedans, mais en se mettant d’emblée au cœur même de la place.

Les grandes lignes suivant lesquelles l’âme s’oriente dans ce travail d’exploration, c’est la distinction préalable de la droite et de la gauche, du haut et du bas, de l’avant et de l’arrière. Cette distinction a lieu, selon Kant, par le moyen de trois plans idéaux, deux verticaux et un horizontal, qui sont censés couper le corps et par lesquels, sortant ensuite de nous-même, nous distinguons consécutivement les trois régions de l’espace. D’après un habile physiologiste, M. Cyon[1], dont l’auteur expose et discute savamment la découverte, ces plans idéaux se trouveraient physiologiquement réalisés dans notre organisme au moyen des trois canaux semicirculaires ou par lesquels la division s’opérerait matériellement. L’auteur incline à croire à cette curieuse

1. Pour le compte-rendu de ce travail, voir la Revue, t. V, p. 655.

  1. Pour le compte-rendu de ce travail, voir la Revue, t. V, p. 655.