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et, à ce titre, nulle société n’a pu s’en passer. Toute civilisation s’achève dans l’urbanité et s’y éteint. La politesse se raffine toujours même en se simplifiant, et ne se simplifie que pour s’étendre. Inventée pour les rois par leurs flatteurs, propagée des cours aux capitales, des capitales aux provinces, des hautes classes aux classes moins élevées, elle ne s’arrêtera dans son épanchement civilisateur qu’après avoir pénétré, en se transformant, les dernières couches du peuple. Et alors chacun connaîtra vraiment la joie de vivre, quand la terre civilisée ne sera plus qu’un vaste atelier et cet atelier qu’un salon immense, un clair et libéral salon du xviiie siècle ouvert à tous, — même au barbare qui va le détruire, ou plutôt l’envahir. — Ce serait mieux qu’une idylle ; espérons que ce n’est pas une utopie.

L’homme qui avance en âge, même jeune encore et avant tout déclin, sent diminuer en lui la soif des plaisirs possibles, même l’appréhension des maux possibles, et l’écart entre ses jouissances les plus vives et ses douleurs les plus fortes s’amoindrir constamment. Sa force de dépit décroit quoique son activité progresse encore. Et, en même temps, il voit ses croyances s’asseoir, se systématiser, s’universaliser de jour en jour. — N’en sera-t-il pas de même de l’humanité ?

G. Tarde.