générale, elle doit être supprimée. Le but suprême de l’homme, en effet, est un maximum de foi saisi à chaque instant par son esprit ; et voilà pourquoi nous avons vu que toute science est une coordination logique et la science des sciences une coordination de coordinations, c’est-à-dire un groupe sans cesse grossissant de jugements qui s’entre-pénètrent, qui s’entre-prolongent les uns les autres, au lieu de se heurter ou de se juxtaposer stérilement, de telle manière que la croyance inhérente à chacun d’eux contienne virtuellement les croyances inhérentes à tous les autres.
Mais, si le désir positif nous abuse, le désir négatif, qui, incorporé à certaines sensations ou à certaines images, produit le composé appelé douleur, ne nous trompe pas. Celui-ci ne court pas après son ombre ; il aspire à sa propre délivrance, à l’état où il ne sera plus. Il est seul rationnel, seul il peut aboutir à son terme avec l’aide de l’art, de la science et de l’amour, ces trois grands anesthésiques de la souffrance. Mais, surtout, il y va par un apparent redoublement de lui-même sous la forme du travail, peine voulue, peine légère, qui est à la douleur ou au mal quelconque qu’elle sert à éviter ce que la vaccination est à la petite vérole.
En fait de désir positif, l’humanité future s’attachera surtout à la curiosité directe, tout désir positif n’étant au reste que de la curiosité, seulement directe ou indirecte, légitime ou bâtarde ; et d’ailleurs elle cherchera de plus en plus à se garantir contre ses maux éventuels. Elle voudra décidément le bien immense et fondamental qui nous manque, la stabilité politique, et certainement elle l’aura. Les progrès de la météorologie, de la médecine et, à vrai dire, de toutes les sciences décupleront l’étendue et la portée de ses prévisions. Par les caisses de secours mutuels, les caisses d’épargne, les assurances contre l’incendie et sur la vie, par une foule d’autres institutions de prévoyance qui déjà se développent étonnamment, au fur et à mesure du développement des intelligences, et par toutes celles que verra naître l’avenir, enfin par l’extension et le perfectionnement de la statistique, on peut espérer que nos arrière-neveux jouiront, non pas d’une félicité proprement dite, mais d’une sécurité infiniment supérieure à celle dont nous avons jamais joui. Mais j’allais oublier le charme extrême qui viendra embellir cette austérité. Leur besoin de certitude ou d’illusion stable en partie satisfait par la science, la philosophie ou la religion, ils demanderont un complément de satisfaction à la politesse, échange d’égards ingénieux et multiples, alimentation réciproque de nos illusions sur nous-mêmes, de notre confiance en nous-mêmes, trompeuse ou non. Mensonge tant qu’on voudra, c’est un accroissement de foi non contradictoire,
