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de là les guerres plus rares, les labeurs de la paix plus fréquents. L’espérance du ciel, croyance infinie et croyance commune, aura donc été pour ces barbares un véritable capital (dans le sens usité du mot), un capital aussi fécondant que l’eût été la découverte faite par leur chef d’une mine d’or dont il eût promis de leur distribuer les lingots monétisés pour récompense de leur bonne conduite.

La foi à l’or peut être aussi trompeuse que toute autre. Les satisfactions qu’on attend de lui peuvent échapper. Mais, en attendant, la sécurité justifiée ou décevante qu’il nous fait luire, est une force productive sine quâ non. Et voilà pourquoi la soif de l’or grandit toujours. Quand on dit couramment, quand on répète d’écho en écho, d’économiste en économiste, que le devoir de l’État se borne à procurer aux citoyens la sécurité, on n’a pas l’air de se douter du fardeau écrasant qu’on lui impose. Autant vaudrait dire qu’il lui suffit de nous enrichir tous.

Quoique la soif de l’or soit un désir, son accroissement atteste donc surtout un accroissement de confiance et de foi. Au contraire, la force de désir, dans son ensemble, est destinée à décliner. À mesure que l’humanité s’éclairera, sans jamais devenir pessimiste, je l’espère bien, à la façon allemande, elle ne peut manquer de dévoiler de mieux en mieux l’illusion propre au désir, du moins dans sa branche positive, comme nous allons l’expliquer. Le désir est positif ou négatif suivant qu’il a pour objet une sensation, une image et les jugements plus ou moins crus qui les accompagnent, ou, au contraire, la suppression d’une sensation, d’une image et de leur cortège judiciaire. Dans tout plaisir qui grandit et qui s’accompagne d’un désir positif grandissant, il vient un instant de soudaine déception où, à leur grande surprise touchant terre en quelque sorte, réveillés en sursaut, échouant à leur port illusoire et fantastique, ceux qui désiraient naguère cherchent leur désir et ne le retrouvent plus ; et c’est précisément l’instant où il leur avait semblé qu’il allait être enfin satisfait. Tout désir marche vers sa propre satisfaction, comme l’animal vers son ombre. Le leurre profond de la nature, c’est que le terme où le désir espère trouver son apaisement est ou lui paraît être un plaisir, une joie, et que cela est impossible, puisque son apaisement implique sa disparition ou sa décroissance et qu’un plaisir suppose son accroissement.

Donc, une foi qu’il faut combattre et qui d’elle-même tend à diminuer, je crois, dans les âmes les plus éclairées, c’est la foi du désir positif dans sa propre satisfaction. Elle implique contradiction, et, comme toute erreur, comme tout conflit interne de croyances mutuellement neutralisées qui diminue d’autant la quantité de foi