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génie a marqué son empreinte en traits ineffaçables. Un peu plus bas sur l’échelle, c’est dans la musique instrumentale que les Mendelssohn, les Schumann, les Chopin ont le mieux réussi.

Il semble que, dans ce domaine tout à lui, le musicien soit plus libre, plus à son aise, qu’il s’abandonne plus complètement aux plus pures inspirations de son génie.

Quant au mode d’action de la musique instrumentale sur l’âme humaine, rien de plus facile à expliquer dans la théorie que nous exposons.

Tout le monde connaît ce qu’on appelle le phénomène de la vibration par influence. Vous frappez un accord sur un piano dans une chambre où il y a une harpe. Ce dernier instrument vous répond par la vibration de toutes celles de ses notes, qui sont accordées à la même hauteur que les notes correspondantes du piano. Si les deux instruments ne sont pas d’accord, le phénomène n’a plus lieu.

À l’état ordinaire, l’âme humaine se mettra, pour ainsi dire, à l’unisson du mouvement figuré par la musique, et, par une sorte d’action réflexe, ce mouvement fera naître le sentiment sous l’influence duquel il prend naissance dans les circonstances habituelles. Si l’âme est déjà sous l’empire d’un sentiment bien caractérisé, dont l’allure générale soit la même que celle du morceau, elle éprouvera une exaltation, une jouissance, un bien-être tout particuliers qui s’accroîtront encore par le contact d’âmes voisines vibrant à l’unisson.

J’en appelle sur ce point à tous ceux qui ont jamais communié sous les espèces d’une des symphonies, ou d’un des grands quatuors de Beethoven.

S’il existe, au contraire, une différence trop prononcée d’allure, de vitesse, de direction, la musique, même la plus belle, peut produire une impression très pénible. Je lis dans l’Histoire de ma vie de George Sand :

« Ma seconde visite à Maurice se termina comme la première, mes amis m’accusèrent de faiblesse. J’avoue que je ne me sentais ni Romaine ni Spartiate devant le désespoir de mon pauvre enfant. On me traîna ce jour-là au Conservatoire, comptant que Beethoven me ferait du bien… La Symphonie pastorale ne me calma pas du tout. Je me souviendrai toujours de mes efforts pour pleurer tout bas, comme d’une des plus abominables angoisses de ma vie. »

Pendant le siège de Paris, en 1870, on avait cherché à organiser des concerts populaires au Cirque.

Je me souviens d’y avoir été, le 30 octobre, avec mon père, feu Adolphe Guéroult, l’un des plus passionnés amateurs de musique