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G. TARDE. — la psychologie en économie politique

industrielles et commerciales de la nation comme de simples instruments et les remanier en conséquence ? Toute la question revient donc à savoir si la solidarité sociale désirable consiste uniquement dans l’assistance mutuelle, et s’il convient ou non de subordonner de plus en plus l’assistance mutuelle à la coopération patriotique. Or, pour nier la nécessité, la fatalité de cette subordination, toute fâcheuse qu’elle peut être parfois, il faut fermer les yeux à l’évidence. Le monde économique attend son maître.

Quoi qu’il en soit, au demeurant, il est un point sur lequel les deux économies politiques opposées sont d’accord : c’est la possibilité d’atteindre, c’est au moins la possibilité de concevoir la partie de leur idéal qui leur est commun : le maximum de valeur. — Ici, le seul économiste philosophe, à notre connaissance, qui ait résolument abordé de face cette question suprême et fondamentale, Cournot, hoche la tête négativement. Mais il résume le problème en une page si triste et si belle qu’on me permettra d’en citer un extrait. « Il y a une grande analogie, dit-il, entre l’idée de l’optimisme en économie sociale, et les idées de l’optimisme et de la finalité en philosophie naturelle. L’un et l’autre principe ne comportent que des applications partielles et relatives dans des circonstances déterminées. Voilà tel détail d’organisation qui certainement est ce qu’il y a de mieux pour que telle fonction s’accomplisse, pouf que telle espèce se perpétue ; mais élevez-vous plus haut et demandez pourquoi telle espèce a été appelée à figurer dans la faune ou la flore d’une contrée plutôt que telle autre, le principe de l’optimisme et de la finalité, en tant que fil conducteur, nous échappe. Ce qui favorise la multiplication d’une espèce est une cause de destruction ou de restriction pour une autre, sans que l’on soit le moins du monde fondé à juger qu’il est mieux en soi que telle espèce se propage aux dépens de telle autre. Le fil conducteur se retrouve quand nous envisageons la création terrestre dans ses rapports avec l’homme, et tout d’abord nous jugeons qu’il est mieux dans cet ordre relatif que telles espèces, telles races soient propagées et telles autres restreintes ou détruites ; qu’à cette fin tel mode de culture, d’assolement, d’exploitation ou de distribution des cultures et des fabrications soit adopté de préférence à tel autre. Puis nous arrivons à comparer entre elles des espèces de produits diversement utiles, répondant à des besoins et à des goûts divers, en raison de la complexité de l’organisation de l’homme, de la variété dans la constitution des sociétés humaines, de la diversité des tempéraments, des races, des classes, des mœurs, des habitudes, des temps et des lieux ; et le fil conducteur nous échappe derechef : car nous voudrions comparer