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nées de découvertes imitées, et les classes de la société qui concourent à leurs productions.

Puis vient, pour couronner le tout, la science des sciences aussi bien naturelles que sociales, la philosophie, qui s’évertue à coordoner toutes ces coordinations partielles d’inventions et de découvertes, inventées elles-mêmes séparément par des milliers de savants successifs et indépendants. Elle y réussit tant bien que mal moyennant force hypothèses, analogues aux fictions de droit à l’usage des juristes ou aux figures de la Bible à l’usage des théologiens.

Mais revenons à l’économie politique. On voit, d’après ce que j’en ai dit, qu’à proprement parler il y en à deux : l’une qui croit voir l’ordre dans les faits économiques livrés à eux-mêmes, l’autre qui ne l’y voit point et veut l’y mettre ; l’une orthodoxe et expectante, qui regarde la concurrence commerciale et la sélection industrielle comme suffisant à nous faire marcher vers l’idéal économique ; l’autre curative, chirurgicale, radicale, qui affirme la nécessité de soumettre toutes ces productions et toutes ces classes à un plan réorganisateur.

Ne se moquerait-on pas d’un philosophe qui dirait : Il n’y a qu’à laisser les savants se disputer, la meilleure philosophie sortira de là ? — ou d’un homme d’État qui dirait : Inutile de gouverner les hommes, tout ira politiquement pour le mieux si on les abandonne à tous leurs penchants ? — ou d’un tacticien qui dirait : La levée en masse, les hordes où chacun se bat à sa façon et où l’on se débrouille comme on peut, voilà le plus sûr moyen de vaincre ? — Cependant cette théorie du laisser-faire, appliquée à d’autres branches de la science sociale, n’y produirait point d’aussi absurdes conséquences. En grammaire, on peut contester que sans les réformes de Vaugelas et de l’Académie française la langue française, abandonnée à la spontanéité des instincts individuels eût été moins belle, moins riche et même moins pure.

Assimilerons-nous l’économie politique en ce point à la grammaire ou bien aux autres sciences précédentes ? À la grammaire assurément, si nous ne sortons pas du point de vue strictement économique. C’est à un point de vue politique seulement que l’organisation ou la direction du travail peut être préconisée. Si les hommes d’une nation ne veulent que s’assister les uns les autres, nul doute que les particuliers ne soient les meilleurs juges des meilleurs moyens à prendre pour réaliser leurs buts particuliers. Mais s’ils poursuivent en même temps quelque grande entreprise ou fantaisie collective, plus ou moins folle d’ailleurs et d’autant plus chère, leurs chefs, chargés de l’accomplir, ne doivent-ils pas regarder les forces