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Avant de répondre il ne sera pas inutile de marquer la place de cette science parmi les autres sciences sociales. L’homme en société parle et répond, commande et obéit, oblige et s’oblige, attaque et se défend, vend et achète (ou produit et consomme), enseigne et apprend, etc. Autant de couples de rapports corrélatifs, autant de sciences sociales distinctes, linguistique, politique, législation, stratégie, économie politique, religion et pédagogie, etc.

Dans chacun de ces ordres distincts de relations intra-sociales, toute innovation débute par une initiative personnelle, que j’ai bien)e droit d’appeler une invention. Elle se propage toujours par imitation. Il ne peut y avoir de science des inventions, leur histoire seule est possible. Mais il pourrait y avoir une science de leur diffusion imitative, plus ou moins rapide et saccadée, variable d’après les climats, les races et les âges. À coup sûr, la tendance des découvertes et des procédés utiles de l’industrie à se propager suivant une progression géométrique, souvent contrariée, il est vrai, n’est pas moins certaine que la tendance des types vivants à se répandre suivant la même loi, et elle aurait droit au regard des économistes, bien mieux que celle-ci, qui appartient aux naturalistes.

On peut raconter, encore une fois, on ne saurait coordonner scientifiquement la série historique des conceptions religieuses, des découvertes industrielles, militaires, administratives, scientifiques. Quant à la série, presque achevée avant les temps historiques, des inventions successives de mots et de formes grammaticales, on ne saurait même en faire le récit. Mais, quand une religion est faite et assise, quand une langue est formée et répandue, quand un corps de connaissances est organisé et accepté, quand un ensemble de préceptes moraux est entré dans les cœurs, etc., il y a lieu à l’apparition d’une théologie, d’une grammaire, d’un traité scientifique, d’un cours de morale, d’un ouvrage de droit, etc. Et aussi bien quand un groupe suffisant d’industries, formées séparément par une suite d’inventions fortuites, s’est mis à fonctionner régulièrement, sans trop de chocs mutuels, et à répandre ses produits hétérogènes dans une nation, il y a lieu à une science appelée l’économie politique.

Toute science est une coordination logique d’inventions. Ou plutôt elle expose soit comment elles se coordonnent, soit comment elles peuvent et doivent se coordonner logiquement. La théologie est la coordination, aussi logique que faire se peut, des croyances religieuses en voie de formation. Je parle de la théologie chrétienne des Pères de l’Église, car, après eux, leur science s’est a ensevelie dans son triomphe ». La grammaire, au temps de Vaugelas par exemple (car à présent elle n’est plus en France, qu’une science consommée et