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G. TARDE. — la psychologie en économie politique

tion, et une invention crée au moins en partie le désir qu’elle satisfait. C’est, sans nul doute, à cause de son utilité relative qu’une découverte est adoptée, qu’elle se propage contagieusement. Mais à quoi est-elle utile ? À satisfaire le plus souvent un désir qui n’existerait pas sans elle ou sans une invention antérieure. La découverte de l’imprimerie s’est répandue, parce qu’elle répondait mieux que l’art des copistes au besoin de lire ; mais l’invention de l’écriture avait déjà fait naître ce besoin en même temps qu’elle commençait à le satisfaire. J’en dirai autant du téléphone, du phonographe, etc. À quoi a servi la découverte du cacao ? à satisfaire le désir qu’elle a fait naître, celui de manger du chocolat.

On voit s’il est permis d’appeler perturbatrices de la valeur les causes mêmes de la valeur.

En résumé, 1o toute valeur consiste en désir et en foi : la valeur d’utilité n’est qu’une somme de désir et de foi, une probabilité plus ou moins grande de satisfactions ultérieures plus ou moins désirées ; la valeur d’échange n’est qu’une équation interne de croyances et de désirs, dont les uns doivent être sacrifiés aux autres. Et, 2o tout accroissement, soit du nombre de nos désirs spéciaux et de nos croyances spéciales, soit du nombre d’exemplaires de chacun d’eux et de chacune d’elles dans l’humanité, a pour unique source sociale une invention, soit nouvelle, soit propagée par imitation. L’invention et limitation sont donc les seules causes sociales de la richesse et de la valeur. Et, de fait, ce qu’on vend, ce qu’on loue, ce n’est jamais ni des terres, ni des pierres, ni des chutes d’eau, mais bien des découvertes innombrables, agricoles, architecturales, industrielles, géométriques, physiques, etc., c’est-à-dire l’emploi qui en a déjà été fait ou l’emploi qu’on en peut faire, grâce à ces terres, à ces pierres, à ces chutes d’eau. Avant d’acheter, l’acheteur pouvait connaître ces découvertes, mais il ne les a acquises que du jour où il a pu s’en servir, puisque leur essence est d’être utiles.


III

L’idéal économique.

L’économie politique ne se borne pas à constater ce qui est, elle juge ce qui est à la lumière de ce qui doit être. Puisqu’elle critique le réel, il faut qu’elle possède un idéal. Quel est l’idéal économique ? Est-il réalisable ? Est-il seulement intelligible ?