miné. Autrefois, sous le règne de la coutume, la moindre hausse du prix de la main-d’œuvre faisait pousser des cris, toute justifiée qu’elle pouvait être par l’enchérissement des denrées ; aujourd’hui, sous l’empire de la mode, les bouchers, les boulangers peuvent impunément élever leur tarif ou le maintenir aussi haut, malgré le cours beaucoup plus bas de la farine ou du bétail, pourvu que leur tarif soit égal pour tous. Chaque ménagère, même pauvre, rougit maintenant de marchander. C’est le prix, se dit-elle. Jadis elle eût protesté énergiquement en invoquant les anciens prix. Tout cela est contraire aux prétendues lois de l’offre et de la demande. Appellerons-nous cependant perturbation l’influence de la mode et de la coutume sur les prix ? On peut hésiter ; car, indirectement et d’une autre manière, il est vrai, ce sont ces deux causes encore qui opèrent leur détermination qualifiée juste, rationnelle, normale. N’est-ce pas par la contagion de l’exemple que se propagent les désirs spéciaux, les croyances spéciales, et que leur intensité s’élève ou s’abaisse ? Nos besoins vraiment naturels sont noyés dans le tas de nos besoins factices. Certes, limitation ne crée pas en nous la force virtuelle de croire et de désirer, mais elle l’éveille et la dirige sur certaines choses, et par là elle crée leur valeur. Le retour du printemps, la montée de la jeunesse sans nulle imitation, je l’accorde, redoublent chez les femmes le désir de plaire ; une journée de chaleur torride donne à toute une population une soif ardente. De là, dira-t-on, et non de l’exemple, dérivent les achats de toilettes printanières et juvéniles, de là les grands débits soudains de bière, de vin ou de cidre. Mais c’est l’instinct imitatif qui fait que ce redoublement de soif ou de coquetterie se tourne aujourd’hui vers tel genre d’étoffe, demain vers tel autre, ici vers le vin, là vers la bière. — Il y a des races naturellement très confiantes, d’autres, très soupçonneuses ; le même peuple, suivant qu’il est bien où mal nourri, en bonne santé ou maladif, passe de la crédulité à la méfiance ou de la méfiance à la crédulité. Mais n’est-ce pas par entraînement général que sa crédulité s’attache ici aux dogmes catholiques, ailleurs aux dogmes musulmans, maintenant aux vérités positives, et que sa méfiance prend pour objet tantôt ses chefs politiques ou militaires, tantôt ses prêtres ? Quelle que soit donc la source de notre force de désir et de foi, et bien qu’il soit certain que la valeur en résulte, toute la valeur des choses leur vient de limitation, par la même raison que la lumière d’un objet éclairé la nuit par une lanterne sourde lui vient de la main qui dirige la lanterne.
D’ailleurs, répétons-le, limitation travaille toujours sur une inven-
