Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 12.djvu/402

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
398
revue philosophique

les occupations guerrières font obstacle au progrès des sciences, elles retardent le moment où l’esprit émancipé de l’autorité des idées primitives arrive à reconnaître les lois naturelles. En troisième lieu, et avant tout, l’effet en question est le résultat de expérience visible et continue de la causation personnelle, que le régime militaire fournit. Dans l’armée, depuis le commandant en chef jusqu’au manœuvre subalterne privé, tout mouvement est dirigé par un supérieur ; et, dans la société, plus l’enrégimentation y est complète, plus les choses se passent d’après la volonté régulatrice du souverain et de ses subordonnés. Quand il s’agit d’interpréter les affaires sociales, on ne reconnaît donc qu’une seule causation, la causation par la personne. L’histoire n’est que la suite des actes des hommes remarquables ; et l’on admet tacitement que ce sont eux qui ont formé les sociétés. L’esprit n’aperçoit pas le cours de l’évolution sociale, parce qu’il ne possède pas l’habitude de la causation impersonnelle. L’idée de la genèse naturelle des organes et des fonctions sociales est une conception totalement étrangère et paraît absurde au premier abord. L’idée d’un procès social qui se règle lui-même est inintelligible. Le militarisme donne à l’esprit du citoyen une forme non seulement moralement adaptée, mais intellectuellement adaptée à ce régime, une forme qui ne lui permet pas de penser en désaccord avec le système imposé.

Voilà donc trois manifestations du caractère du type militaire de l’organisation politique. Remarquez la concordance des résultats.

Il y a des conditions évidentes à priori, qu’une société doit remplir Pour se conserver en face de sociétés hostiles. Pour être le plus possible efficace en vue de conserver la vie corporative, il faut que l’action corporative soit secondée par tous. Toutes choses égales, la force combattante est la plus grande quand ceux qui ne peuvent pas combattre travaillent pour l’entretien de ceux qui portent les armes, avec cette condition évidente que la partie travaillante n’excède pas les limites nécessaires à cette fin. Les efforts de tous, utilisés directement ou indirectement pour la guerre, sont plus efficaces quand ils sont mieux combinés ; outre l’union entre les combattants, l’union est nécessaire entre les non-combattants pour que l’assistance de ceux-ci donne promptement tout ce qu’elle peut donner. Pour remplir ces conditions, il faut que la vie, les actions et les biens de chacun soient au service de la société. Ce service universel, cette combinaison, cette absorption des droits individuels supposent un organe gouvernemental despotique. Pour que la