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HERBERT SPENCER. — la société militaire

maitres leur disent, les maîtres ne peuvent rien faire qui sorte des usages sans une permission de l’autorité ; et l’autorité locale n’accorde aucune permission avant que les autorités supérieures aient été hiérarchiquement consultées. D’où résulte que l’état mental résultat de ces influences est celui de l’acceptation passive et de l’expectative. Lorsque le type militaire est entièrement développé, tout doit se faire par l’action publique, non seulement par la raison qu’elle se fait sentir dans toutes les sphères, mais parce que, si elle n’y dominait pas, aucune autre autorité ne s’y créerait, puisque les idées et les sentiments qui pourraient les créer sont oblitérés.

Il faut ajouter à ces causes une influence qui agit en même temps sur l’intelligence et qui concourt avec elles. La seule cause que l’on reconnaisse est la personne, et l’idée d’une cause non personnelle ne peut se former. L’homme primitif n’a aucune idée de la cause au sens moderne. Les seuls agents que l’on admette dans la théorie des choses sont les vivants et les esprits des morts. Tous les événements insolites, comme les événements habituels susceptibles de variation, il les attribue à des êtres surnaturels. Cette méthode d’interprétation survit et persiste durant les premiers âges de la civilisation, comme nous le voyons par exemple chez les Grecs d’Homère, qui attribuaient les blessures, la mort, l’acte de se dérober dans la bataille aux coups de l’ennemi, à la haine ou au secours d’un dieu, et qui regardaient comme inspirés par les dieux les actes bons ou mauvais. La persistance, le développement des formes sociales et de l’activité militaire conserve cette manière de penser. En premier lieu, elle empêche indirectement la découverte des relations causales. Les sciences naissent des arts ; elles commencent à titre de généralisations de vérités que la pratique des arts rend manifeste. Dans la mesure où les procédés de production se multiplient en devenant plus variés, et que leur complexité augmente, on en vient à reconnaître un plus grand nombre de lois ; et l’idée d’une relation nécessaire et d’une cause physique se développe. Par conséquent, en décourageant le progrès industriel, le militarisme met obstacle au remplacement des idées de causalité personnelle par l’idée de la causalité impersonnelle. Il arrive au même résultat en réprimant la culture intellectuelle. Naturellement une vie occupée à acquérir des connaissances, comme une vie occupée dans l’industrie, passent pour méprisables, aux yeux de gens qui consacrent la leur à la guerre. Les Spartiates en sont une preuve dans l’antiquité ; nous en avons d’autres dans les âges féodaux en Europe, alors que le savoir était un objet de dédain, et tenu seulement pour bon pour les clercs et le petit peuple. Évidemment, dans la mesure où