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faite, était profonde : la volonté de l’individu se subordonnait en toute chose à la volonté publique exprimée par les autorités établies. Dans la Rome primitive encore, en l’absence d’un roi d’origine divine à qui l’on pût montrer de la soumission, on en témoignait au roi élu, sans y mettre d’autre réserve que celle de l’expression de l’opinion publique en des circonstances spéciales. Le principe de l’obéissance absolue, légèrement adouci dans les relations de la communauté prise dans son ensemble à son gouvernement, était absolu dans les groupes qui composaient le peuple romain. Enfin, dans toute l’histoire de l’Europe, sur une grande ou sur une petite échelle, nous voyons le sentiment de la loyauté régner partout où le type militaire est accentué, on n’a pas besoin d’entrer dans les détails pour en fournir la preuve.

Laissons ces caractères saillants pour passer à certains caractères qui en sont la conséquence, mais qui sont moins saillants et dont les résultats sont moins apparents. Avec la loyauté marche naturellement la foi ; ces deux sentiments ne sont en réalité guère séparables. La promptitude à obéir au général pendant la guerre, suppose la croyance à une capacité militaire ; la promptitude à lui obéir pendant la paix suppose la croyance à une capacité qui s’étend aussi aux affaires civiles. Chacune de ses victoires, imposant à l’imagination de ses sujets, grandit son autorité. Les témoignages de son action régulative sur la vie de ses sujets deviennent plus fréquents et plus décidés ; et ces témoignages donnent à penser que sa puissance est illimitée. Cette idée favorise le développement d’une foi absolue à l’autorité gouvernementale. Des générations élevées sous un régime qui gouverne toutes les affaires, privées et publiques, admettent tacitement que les affaires ne peuvent être gouvernées autrement. Quand on n’a pas l’expérience d’un autre régime, on est incapable d’en imaginer un autre. Dans les sociétés comme l’ancien Pérou, par exemple, où, comme nous l’avons vu, l’enrégimentation était universelle, il n’existait aucun élément qui pût entrer dans la composition de l’idée d’une vie industrielle, spontanément menée et spontanément gouvernée..

Comme conséquence naturelle, répression de l’initiative individuelle, et par suite défaut d’entreprise privée. À mesure que l’armée acquiert son organisation, elle se trouve réduite à un état où toute action indépendante de ses membres est l’objet d’une interdiction. À mesure que l’enrégimentation pénètre dans la société en général, chacun de ses membres, dirigé ou contenu tour à tour, a peu ou point de pouvoir de mener ses propres affaires autrement que d’après la routine établie. Les esclaves ne font que ce que leurs