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HERBERT SPENCER. — la société militaire

l’argent pour son travail, et aussi par la loi qui interdit aux sénateurs et aux fils d’un sénateur de s’engager dans les affaires. Il n’est pas besoin de donner des preuves du profond mépris de la classe militaire pour les classes industrielles dans toute l’Europe, jusqu’à une époque toute récente.

Pour donner volontiers sa vie au profit de la société, il faut beaucoup du sentiment appelé patriotisme. Sans doute on ne saurait dire qu’il est essentiel de croire qu’il est glorieux de mourir pour son pays, puisque les mercenaires se battent sans cela ; mais il est évident que cette croyance doit être une grande cause de succès à la guerre, et que le défaut de cette croyance doit être si défavorable à l’action offensive et défensive, que, sous des conditions égales, il est probable qu’elle sera une cause dèchec et d’asservissement. D’où suit que le sentiment du patriotisme s’établira par la survie des sociétés dont les membres le possèdent le plus.

À ces caractères, il faut ajouter le sentiment de l’obéissance. La possibilité de l’action commune qui, toutes choses égales, fait le succès à la guerre, dépend de la promptitude avec laquelle des individus subordonnent leur volonté à celle du commandant ou du souverain. La loyauté est une chose essentielle. Aux premiers âges de l’histoire, ce sentiment apparaît rarement : chez les Araucaniens, par exemple, qui, d’ordinaire « montrent de la répugnance à toute subordination, mais qui, à la première menace de guerre, sont prompts à obéir et à se soumettre à l’autorité de leur chef militaire, » choisi pour la circonstance. À mesure que le type militaire se développe ce sentiment devient permanent. Ainsi, nous dit Erskine, les Fidjiens sont d’une fidélité absolue : les hommes qu’on enterre vivants dans les fondations de la maison du roi se tiennent honorés d’être choisis pour ce sacrifice ; et les gens d’un district asservi « disent que c’est leur devoir que de servir de nourriture et de victimes à leurs chefs. » Au Dahomey, le roi inspire un sentiment qui est « un mélange d’amour et de crainte, quelque chose comme de l’adoration. » Dans l’ancienne Égypte, où l’obéissance aveugle était l’huile qui faisait marcher d’accord tous les rouages de la machine sociale, les monuments nous offrent de toutes parts la répétition ennuyeuse d’actes quotidiens de subordination, d’esclaves et d’autres gens envers le personnage décédé, de captifs envers le roi, du roi envers les dieux. Encore que, pour des raisons que j’ai déjà fait connaître, la guerre chronique n’ait pas eu pour effet de créer à Sparte un gouvernement à une seule tête, à qui l’on pût montrer une obéissance exclusive, il n’en reste pas moins que l’obéissance accordée à l’autorité politique, telle que histoire l’avait