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réduisant en esclavage. Les sauvages belliqueux qui font esclaves leurs prisonniers, quand ils ne les mangent pas, montrent habituellement ce manque d’égards pour la liberté de leurs semblables, qui est le caractère des membres des sociétés militantes en général. Un fait montre combien peu, sous le régime militaire plus ou moins marqué des premières sociétés historiques, les sentiments s’élevaient contre l’usage de priver l’homme de sa liberté : c’est que les enseignements mêmes du christianisme primitif ne contenaient aucune condamnation expresse de l’esclavage. Naturellement, il en est de même du droit de propriété. Quand il est honorable d’établir sa domination par la force, il y a peu de chance que le plus fort respecte le droit de propriété du plus faible. Aux îles Fidji, on trouve que c’est un acte digne d’un chef que de se saisir des biens d’un sujet ; le vol est honorable, s’il n’est pas découvert. Au Dahomey, le roi pressure tous ceux qui acquièrent du bien. Chez les Spartiates, « le maraudeur ingénieux et heureux se faisait applaudir en montrant son butin. » Dans l’Europe du moyen âge, avec les voleries habituelles qu’une société faisait sur une autre, il y avait de perpétuelles voleries, dans le sein de la même société. Sous les Mérovingiens, « les meurtres et les crimes relatés dans l’Histoire ecclésiastique ont presque tous pour cause le désir de s’emparer des trésors des victimes. » Sous Charlemagne, les officiers royaux pillaient sans cesse : dès que l’empereur avait tourné le dos, « ses prévôts s’emparaient des fonds destinés à assurer la nourriture et le vêtement des artisans. »

Quand la guerre est constante et que les qualités qu’elle exige sont les plus nécessaires et par conséquent les plus honorées, ceux dont les occupations ne font pas preuve de ces qualités sont traités avec mépris, et ces occupations tenues pour peu honorables. Dans les temps primitifs, le travail est l’affaire des femmes et des esclaves, des vaincus et des descendants de ceux-ci ; les métiers, quel qu’en soit le genre, exercés par les sujets, demeurent longtemps liés à l’idée de bassesse d’origine et de nature. Au Dahomey, « on méprise l’agriculture, parce que les esclaves y sont employés. » « — Les nobles japonais et les hommes en place, même ceux du rang secondaire, entretiennent un souverain mépris pour le trafic. » D’après Wilkinson, chez les anciens Égyptiens, « les préjugés du soldat contre les occupations mécaniques étaient aussi forts qu’à Sparte. Rawlinson écrit que « les anciens Perses avait coutume d’exprimer le plus grand mépris pour les métiers et le commerce ». Le progrès de la différenciation des classes, qui fut une suite de la conquête romaine, s’aggrava par la règle qui s’établit qu’il était honteux de prendre de