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HERBERT SPENCER. — la société militaire

-dire de mettre sa volonté en opposition avec celle des lois et des magistrats ; de convoquer le sénat ou le peuple et de le présider, c’est-à-dire de diriger les assemblées électorales comme il le jugeait bon. Ces prérogatives, il ne les possédait pas pour une seule année, mais pour sa vie, non pas à Rome seulement… mais dans tout l’empire ; il ne les partageait pas avec dix collègues, mais il les exerçait seul ; enfin il n’avait aucun compte à rendre parce qu’il ne déposait jamais sa charge. » Avec ces changements survint un accroissement du nombre et de la netteté des divisions sociales. L’empereur « plaça entre lui et les masses une multitude de gens, classés régulièrement par catégories et perchés les uns au-dessus des autres, de façon que cette hiérarchie, pesant de tout son poids sur les masses placées au-dessous, ôta toute puissance au peuple et aux factieux. Ce qui restait de vieille noblesse patricienne avait le premier rang dans la cité… ; au-dessous venait la noblesse sénatoriale à demi héréditaire ; au-dessous, la noblesse de finance ou l’ordre équestre ; c’est-à-dire trois aristocraties superposées..… Les fils des sénateurs formaient un ordre interposé entre l’ordre sénatorial et l’ordre équestre… Au second siècle, les familles sénatoriales formèrent une noblesse héréditaire pourvue de privilèges. » En même temps, l’organisation administrative s’étendait et se compliquait beaucoup. « Auguste créa un grand nombre de charges nouvelles, par exemple la surintendance des travaux publics, des routes, des aqueducs, du lit du Tibre, de la distribution des grains au peuple… Il créa aussi de nombreuses charges de procurateurs de l’administration fiscale de l’empire ; enfin, dans Rome, il y avait 1,060 officiers municipaux. » Le caractère structural propre à l’armée s’étendit de deux manières : des officiers militaires acquirent des fonctions civiles, et des fonctionnaires de l’ordre civil devinrent en partie militaires. Les magistrats nommés par l’empereur se substituèrent peu à peu à ceux que le peuple nommait, et joignirent à leur autorité civile autorité militaire ; tandis que sous Auguste les préfets du prétoire étaient seulement des chefs militaires…, ils s’emparèrent peu à peu de toute l’autorité civile et finirent par devenir, après l’empereur, les premiers personnages de l’empire. » De plus, les organes gouvernementaux absorbèrent les corps de fonctionnaires jadis indépendants. « Dans son ardeur à tout organiser, l’empereur enrégimenta même la loi, et fit une magistrature officielle de ce qui avait été jusque-là une profession libre. » Afin d’imposer l’autorité de cette administration agrandie, l’armée fut rendue permanente et soumise à une discipline sévère. Avec l’accroissement continuel de l’organisation régulative et coercitive, les charges qui pesaient sur les producteurs