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La société barbare du Dahomey, formée de nègres, l’empire à demi civilisé des Incas, aujourd’hui éteint, l’ancien empire égyptien peuplé par d’autres races, la société spartiate dont les membres n’appartenaient pas à la même famille, et la nation russe actuelle, composée de Slaves et de Tartares, sont des exemples où les points de ressemblance dans la structure sociale ne sauraient être rapportés à l’hérédité qui aurait transmis aux unités un caractère commun. Les différences immenses qui séparent ces diverses sociétés, dont les unes comptaient des millions d’hommes et les autres seulement des milliers, ne permettent pas d’admettre que les caractères de structure qui leur sont communs dépendent du volume de la société. On ne peut pas davantage supposer que les points de ressemblance dans les conditions climatériques, régionales, géologiques, botaniques, zoologiques, ou les points de dissemblance dans les habitudes causées par ces conditions, aient rien à faire avec les points de ressemblance dans l’organisation de ces sociétés ; car leurs habitats présentent de nombreux points de dissemblance bien tranchés. Ces caractères, appartenant à chacune de ces sociétés, ne pouvant se rapporter à d’autres causes, doivent donc se rapporter à l’habitude qui leur est commune à toutes, le militarisme. Les résultats de l’induction à eux seuls autoriseraient cette conclusion ; nous la trouvons de plus pleinement autorisée par l’harmonie qu’elle soutient avec les résultats déductifs exposés ci-dessus.

S’il reste quelques doutes, ils se dissiperont par une observation qui va montrer comment la continuation de l’état de guerre a pour complément le développement de l’organisation militaire. Trois exemples suffiront.

Lorsque, durant les conquêtes romaines, la tendance qui portait le général heureux à devenir despote, plusieurs fois révélée, finit par se réaliser ; quand le titre d’imperator, dont le sens primitif était tout militaire, devint celui d’un chef politique civil, et prouva par un fait plus éclatant que les autres la genèse de l’autorité politique au sein de l’autorité militaire ; lorsque, comme cela arrive d’ordinaire, un caractère de plus en plus divin devint le privilège du chef civil, attesté par le nom sacré d’Auguste que ce chef crut devoir prendre, attesté aussi par un culte réel qu’on lui rendit ; les traits du type militaire devinrent en même temps plus prononcés sous une forme plus avancée. De fait, sinon de droit, les autres pouvoirs de l’État furent absorbés par le chef militaire, l’empereur. « Il avait, dit Duruy, le droit de proposer les lois, c’est-à-dire de les faire ; de recevoir et de juger les appels, c’est-à-dire la juridiction suprême ; d’arrêter par le veto tribunitien toute mesure et toute sentence, c’est-à-