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HERBERT SPENCER. — la société militaire

et le commerce n’était à peine représenté parmi eux que par l’échange de quelques articles de bouche.

À en croire les récits qui nous sont parvenus, l’ancienne Égypte nous offre des phénomènes analogues. On peut légitimement affirmer que le militarisme y’florissait durant les siècles les plus reculés, d’après l’immense population d’esclaves qui s’employèrent à bâtir les pyramides. Nous savons aussi que le militarisme s’y maintint par la suite, d’après les pompeux documents de ses rois et les récits de leurs victoires tracées sur les murailles des temples. Avec cette forme d’activité, nous avons, comme plus haut, le souverain issu des dieux, dont l’autorité ne rencontrait d’autre limite que les usages transmis par ses ancêtres divins ; c’était à la fois un chef politique, un souverain pontife, un général en chef et un juge suprême. Sous lui existait une organisation centralisée dont la partie civile était distribuée en classes, sous-classes aussi définies que l’étaient celles de la partie militaire. Des quatre grandes divisions sociales prêtres, soldats, citadins où commerçants, et commun peuple, au-dessous duquel vivaient les esclaves, la première comprenait plus d’une vingtaine d’ordres différents ; la seconde, une demi douzaine de plus que les ordres constitués pour les grades militaires : la troisième, près d’une douzaine ; et la quatrième, un nombre encore plus grand. Bien que dans les classes dirigeantes les castes ne fussent pas assez rigoureusement délimitées pour empêcher le changement de fonction dans les générations successives, Héro dote et Diodore de Sicile disent que les occupations industrielles passaient du père au fils : « chaque métier ou travail manuel particulier se faisait par une catégorie d’ouvriers, et personne ne passait d’un métier à un autre. » On peut voir combien l’enrégimentation était savante, d’après le récit détaillé de l’état-major d’officiers et d’ouvriers occupés dans l’une de leurs immenses carrières : le nombre et les grades des fonctionnaires rivalisaient avec ceux d’une armée. Les classes intérieures travaillaient pour’entretenir cette organisation régulative très avancée, à la fois civile, militaire et sacerdotale, qui possédait seule le sol. « Des surveillants placés au-dessus de ces malheureuses gens les faisaient travailler durement et employaient plus souvent le bâton que les avertissements. » Que la surveillance officielle descendit ou non aux visites domiciliaires, elle allait jusqu’à tenir note de chaque famille. « Chacun était tenu sous peine de mort de déclarer au magistrat comment il gagnait sa vie. »

Prenons maintenant une autre société ancienne, bien différente à divers égards, mais où nous voyons, en même temps que le militarisme habituel, des caractères constitutionnels analogues dans leurs