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G. GUÉROULT. — du rôle du mouvement

des différents points d’une ligne matérielle ou géométrique. Etant donné une figure, une phrase musicale quelconque composée, par exemple, d’une tierce majeure puis d’une tierce mineure, comme ut mi sol, vous pourrez la transporter, la transposer à toutes les hauteurs possibles, exactement comme vous pouvez construire, en un point quelconque de l’espace, un triangle égal à un triangle donné.

Bref, musicalement parlant, et pour employer la prudente formule de Newton, les choses se passent comme s’il existait une sorte d’espace idéal, où se mouvrait un mobile d’une espèce particulière, le son.

On objectera peut être que, jusqu’ici du moins, l’analogie que nous établissons, entre l’espace et la gamme, repose sur un simple rapprochement de mots, sur une série de métaphores du langage. À cela nous répondrons, avec les penseurs les plus autorisés, que le langage est une sorte d’instrument d’analyse psychologique, qui permet à la pensée humaine d’enregistrer, presque à son insu, le résultat de ses recherches, de son travail sur elle-même. L’accord qui s’est établi sur ce point, entre les peuples de tous les temps et de tous les pays, ne permet pas de supposer que cette rencontre de mots soit un accident fortuit, et puisse être attribuée à autre chose qu’à une disposition permanente, constitutionnelle pour ainsi dire, de l’intelligence humaine. Il est très important de remarquer, en outre, que l’usage établit entre les sons des distinctions plus subtiles et plus raffinées que la science elle-même. Pour les acousticiens, les voyelles de la voix parlée sont des sons au même titre que les notes d’un air quelconque. Quand vous dites cependant que telle cantatrice ou tel chanteur chante trop haut ou trop bas, les mots de haut et de bas ont ici un sens tout à fait différent de celui qu’ils auraient si vous accusiez quelqu’un de parler trop haut, ou si, dans la chambre d’un malade endormi, vous priiez une personne de parler plus bas. Dans le premier cas, ces adjectifs impliquent l’idée de la distance des sons à un point de départ déterminé dans le second, ils se rattachent à la notion d’une intensité plus ou moins grande.

Depuis quelques années, grâce à des appareils très précis, des physiciens ont pu noter les inflexions de la parole ; mais cette notation n’est jamais un fait spontané. La possibilité d’assimiler les sons de la voix parlée à ceux de la voix chantée excite toujours, chez les personnes peu familiarisées avec l’étude de l’acoustique, un véritable étonnement[1].

  1. Voici quelle est, suivant moi, l’explication de ces particularités diverses. Helmholtz a démontré que tous les sons musicaux étaient des sons com-