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A. FOUILLÉE. — critique de la morale kantienne

quoi consiste cette supériorité ? est-elle de quantité ? Faut-il dire que l’universel est une quantité supérieure au particulier ? Mais, encore une fois, tout dépend de ce qui est ainsi universalisé et en quantité supérieure : si c’est la douleur, la douleur sera-t-elle un bien ? Il faut donc admettre une supériorité de qualité ; mais en quoi consiste-t-elle ? Nous voilà revenus à l’ancienne morale, qui établissait d’abord la hiérarchie métaphysique de nos facultés avant de nous faire un devoir d’obéir à cette hiérarchie. La loi va reposer sur le bien et non plus le bien sur la loi. Kant s’appuie, ici encore, sur une métaphysique latente, sur un système où la raison pure, identique à la volonté pure, est divinisée sans qu’on sache pourquoi.

III

THÉORIE DU SOUVERAIN BIEN. SYNTHÈSE DE LA MORALITÉ ET DU BONHEUR.

Les difficultés inhérentes à la façon dont Kant se représente la finalité pratique sont encore plus sensibles dans sa doctrine du souverain bien ou de la fin souveraine, qui est intimement liée à celle de la fin en soi. Tout d’abord, Kant distingue deux souverains biens. « Souverain peut signifier où suprême (Supremum) ou complet (consummatum) ; dans le premier cas, il désigne « une condition inconditionnelle », à savoir l’impératif catégorique ; dans le second cas, il désigne « un tout qui n’est point une partie d’un tout plus grand encore de la même espèce (pertectissimum) », à savoir la satisfaction de toutes nos inclinations ou le bonheur. Cela revient à dire qu’il y a une finalité supérieuresuprême, la satisfaction de la raison, et une finalité totale ou parfaite, la satisfaction de tout notre être y compris la sensibilité.

Ces définitions une fois admises, un problème se présente : — Quel est le rapport de ces deux fins ? — Kant reconnaît que la satisfaction de la raison ou vertu est seulement une fin partielle, qui a besoin d’un complément nécessaire, le bonheur. Si donc la moralité est une fin inconditionnelle absolue, c’est seulement en ce sens qu’elle est une condition de tout le reste, non subordonnée elle-même à aucune condition ; mais, si elle est nécessaire, elle n’est pas pour cela suffisante, puisqu’elle a besoin d’un complément. Dès lors, une objection se pose : — Comment, dans l’absolu, séparer le suprême du parfait, le conditionnant absolu du satisfaisant absolu ? Ne serait-ce point là