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A. FOUILLÉE. — critique de la morale kantienne

formel. Le symbolisme idéaliste, par sa méthode d’induction et de participation, revient en. définitive soit à un empirisme que la pure doctrine de Kant a en horreur, soit à l’ontologisme antique, également exclu par Kant, soit au formalisme même de Kant. Lorsque les néo-kantiens veulent introduire dans leur morale les procédés platoniciens, leur position est beaucoup plus difficile que celle des platoniciens eux-mêmes, qui admettaient un moyen de communication intellectuelle avec l’absolu moral ; les néo-kantiens rejettent cette communication et nous imposent pourtant le devoir de représenter symboliquement l’absolu dans notre conduite. Pour établir un rapport déterminé entre une chose et son symbole, il faut avoir de cette chose même une idée déterminée : entre x et un acte de méchanceté ou de bonté, il n’y a qu’un rapport nul où un rapport inconnu. Si donc. pour soutenir la « primauté de la morale », on allait jusqu’à admettre que l’ « métaphysique sur lequel repose la morale demeure inconnu non seulement dans son fond, mais même dans sa forme, tant qu’il n’a pas été déterminé par la morale même, on se trouverait dès le début enfermé dans ce cercle : déterminer à l’aide de la morale le principe indéterminé qui doit déterminer la morale. Pour sortir de ce cercle, il n’ÿ à pas d’autre ressource que la forme légale dont parle Kant.

Selon nous, le formalisme est essentiel au vrai kantisme, et même il le constitue. La philosophie allemande a justement remarqué le lien étroit qui existe entre le formalisme métaphysique de Kant et son formalisme moral, auquel on peut même ajouter son formalisme esthétique. Nous ne pouvons, selon la Critique de la raison pure, connaître que des formes à priori : l’objectif des choses, leur être et leur essence nous échappent ; par cela même, le bien en soi nous échappe. Savons-nous quel est le fondement objectif de l’espace, ce grand réceptable où nous sommes forcés par notre constitution intellectuelle de plonger et d’engloutir tous nos objets d’intuition ? Nous ne le savons pas. De même, savons-nous quel est le fondement objectif du temps, cette ligne incommensurable, cette route fuyante sans commencement et sans fin, le long de laquelle nous sommes obligés de ranger tous les phénomènes, morts aussitôt que nés, et qui ressemble à une longue voie tumulaire n’offrant aux regards par devant et par derrière qu’une rangée infinie de tombeaux ? Nous ne le savons pas davantage. De même encore, savons-nous ce qu’il y a au fond du beau qui nous charme ou du sublime qui nous écrase ? Non, la beauté n’est qu’une simple forme, une surface sur laquelle notre imagination joue sans rien pénétrer, et le sublime n’est que le noumène se laissant concevoir derrière la nature sans jamais se