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En conséquence, ils n’ont point insisté sur l’universalisation des maximes comme seule méthode possible du kantisme, et ils y ont parfois ajouté deux autres méthodes plus ou moins renouvelées de la philosophie platonicienne, avec l’espoir d’introduire un contenu plus précis dans la forme du devoir. Kant lui-même avait indiqué ces méthodes, quoique très vaguement, mais en définitive il ne les a point admises dans sa morale et s’en est tenu au point de vue formaliste.

La première de ces méthodes est la méthode platonique et théologique d’élimination, qui consiste à nier et à éliminer de l’absolu tout ce qui caractérise la vie sensible. « Le monde intelligible, dit Kant lui-même, ne signifie pour moi que quelque chose qui reste, lorsque j’ai retranché du nombre des principes qui peuvent déterminer ma volonté ce qui appartient au monde sensible ; c’est quelque chose qui sert à restreindre le principe des mobiles venus du champ de la sensibilité, en limitant ce champ et en montrant qu’il n’est pas tout et qu’il y a encore quelque chose au delà ; mais ce quelque chose, je ne le connais pas autrement. De la raison pure qui conçoit cet idéal, il ne me reste, après avoir fait abstraction de toute matière, c’est-à-dire de la connaissance des objets, autre chose que la forme[1]. »

Kant dit encore, à propos des moyens de déterminer le monde intelligible : « On fait alors abstraction de tout ce qui se rattache psychologiquement aux concepts de l’intelligence et de la volonté, c’est-à-dire de tout ce que nous observons par l’expérience dans l’exercice de ces facultés, comme, par exemple, que l’entendement de l’homme est discursif ; que, par conséquent, ses représentations sont des pensées et non des intuitions ; qu’elles se suivent dans le temps ; que sa volonté dépend toujours de la satisfaction qui résulté de l’existence de son objet, etc. : toutes choses qui ne peuvent se rencontrer dans l’Être suprême. Et, par conséquent, des concepts par lesquels nous concevons un être purement intelligible, il ne reste que tout juste ce qui est nécessaire pour pouvoir concevoir une loi morale[2]. »

N’est-ce point là encore trop dire, et reste-t-il vraiment quelque chose quand on a éliminé tout concept déterminé ? Qu’est-ce qu’une loi morale formée par l’union d’une intelligence vide et d’une volonté vide ? Kant avoue d’ailleurs que de telles conceptions n’étendent en rien notre connaissance théorique de l’’intelligible ; et pourtant il semble les croire suffisantes au point de vue pratique, comme si ce qui est absolument vide pour la spéculation n’était pas encore plus vide pour la moralité. Nous l’avons déjà remarqué, on n’a

  1. Métaphysique des mœurs, 124.
  2. Raison pratique, 353.