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cipes qui les déterminent[1]. » En d’autres termes, que les principes d’une loi appartiennent au monde sensible ou au monde intelligible, la forme de la loi, c’est-à-dire l’universalité, sera toujours la même. Telle est, selon nous, l’économie générale du symbolisme kantien.

À cette doctrine, qui est la pure et originale doctrine de Kant, on peut faire les objections suivantes :

1o Il n’est pas certain que les lois du monde intelligible et celles du monde sensible soient identiques même quant à la forme. Nous ne pouvons savoir si la liberté absolue à vraiment des lois, et l’idée de liberté par elle-même implique plutôt le contraire.

Si, au lieu de l’idée de liberté intelligible, nous considérons celle du bien intelligible, la même objection subsiste. Nous ne pouvons pas plus connaître la forme commune du bien absolu et de la nature que nous ne pouvons connaître le bien absolu lui-même. Une cire intelligente peut savoir la forme qui est empreinte en elle ; mais, quand elle attribue cette forme à un objet transcendant qui la lui imprime, elle ne peut savoir, ni si de ce côté la forme est réellement objective, ni si le fond qu’elle recouvre est bon et moral. Certaine du côté immanent et comme fait brut, la forme d’universalité est incertaine du côté transcendant.

Si notre forme de moralité ne ressemble pas plus à la moralité réelle et intelligible qu’un « moulin à bras » ne ressemble, comme dit Kant, à un « Etat despotique[2] » ou une métaphore à son objet, elle n’aura déjà guère de valeur ; mais nous ne pouvons pas même savoir s’il a y a la même analogie de règles entre la moralité absolue et notre forme de moralité qu’entre un Etat despotique et un moulin à bras, car ce serait transporter les règles subjectives de la causalité à nous connue dans un monde où elles ne sont plus valables. Notre forme de la moralité, notre hypotypose, notre métaphore symbolique, est donc, comme le fond même qu’elle prétend représenter, une hypothèse, et la loi qu’elle exprime, au lieu d’être « assertorique », nous apparaît de nouveau comme problématique et métaphorique. En d’autres termes, nous ne pouvons savoir si le bien en soi est vraiment universel. Le rapport de l’universalité à la volonté absolument bonne est en lui-même insaisissable. On peut fort bien, par exemple, supposer une volonté mauvaise, arbitraire, qui imposerait des lois universelles. On peut supposer aussi une loi universelle de la nature qui serait un mal, par exemple la souffrance universelle, l’égoïsme universel, etc. La doctrine kantienne s’appuie sur l’optimisme théologique. Enfin on peut supposer que le bien en

  1. Métaph. des mœurs, p. 242.
  2. Voir plus haut la note sur les symboles.