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A. FOUILLÉE. — critique de la morale kantienne

c’est-à-dire la forme législative[1]. » — Or une forme peut être appelée un type, c’est-à-dire une marque qui n’est pas elle-même une image, mais qui impose sa forme à l’image ; Kant aurait pu prendre pour terme de comparaison le type gravé d’un cachet qui sert d’intermédiaire entre le métal dont il est la forme et la cire à laquelle il donnera une forme. L’empirisme ne veut voir que la cire ; le supranaturalisme mystique prétend voir le cachet, et la main qui le tient ; le criticisme de Kant voit la forme commune du cachet et de la cire.

La question ainsi posée, il reste à déterminer quelle sera cette forme commune des lois de la liberté et des lois de la nature. Kant répond : — Ce qui nous commande impérativement, c’est la raison pure ; or la raison pure, étant dégagée de toute matière empirique et ne conservant que la forme d’une loi, est par cela même universelle. L’universalité est donc la seule forme sous laquelle nous puissions nous représenter à la fois un monde de la nature et un monde de la liberté, parce que c’est la forme même du monde de la raison. Tel est le « type qui nous sert à juger nos maximes suivant des principes moraux. Si la maxime de l’action n’est pas telle qu’elle puisse revêtir la forme d’une loi universelle de la nature, elle est moralement impossible. »

Ainsi on ne saurait trop le redire, l’érection d’une maxime en loi universelle de la nature est seulement le « type de la loi morale ». Nous avons donc, dans notre détermination de la moralité, les divers degrés suivants : 1o trouver une loi de la liberté qui en exprime formellement le fond : cette loi est l’universalité du valoir ; 2o trouver une loi de la nature, un ordre naturel qui soit le symbole d’un ordre de la liberté, d’une loi de la liberté : c’est l’universalité des lois de la nature. « C’est toujours ainsi, dit Kant, que juge le sens commun lui-même, car la loi de la nature sert toujours de fondement à ses jugements les plus ordinaires, même aux jugements d’expérience. Il l’a donc toujours devant les yeux, sauf à ne faire, dans les cas où il s’agit de juger la causalité libre, de cette loi de la nature que le type d’une loi de la liberté, car, s’il n’avait sous la main quelque chose qui pût lui servir d’exemple dans l’expérience, il ne pourrait mettre en usage dans l’application la loi d’une raison pure pratique. Il est donc permis aussi d’employer la nature du monde sensible comme type d’une nature intelligible, pourvu qu’on ne transporte pas à celle-ci les intuitions et ce qui en dépend, mais qu’on se borne à lui rapporter la forme législative en général… car des lois comme telles sont identiques quant à la forme, n’importe d’où elles tirent les prin-

  1. Raison pratique, 243.