Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 12.djvu/344

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
340
revue philosophique

de Kant, c’est moins la morale qui est un symbolisme métaphysique, que la métaphysique qui est un symbolisme moral.

L’absolu se trouve donc déplacé ; il passe de la métaphysique à la morale, qui encore n’en peut saisir que la forme rationnelle, « c’est à-dire une simple loi, le devoir. » Quant au fond, il demeure impénétré et impénétrable.

Mais, après avoir ainsi donné à la morale la « primauté » sur la métaphysique, après lui avoir attribué le pouvoir de nous ouvrir le monde intelligible, dans lequel le devoir même nous ordonne d’entrer pour nous y assurer une place, les kantiens se trouvent ramenés devant ce problème, commun à tous ceux qui admettent deux mondes dont nous devons réaliser l’harmonie : — Comment discerner, parmi les actes à accomplir dans le monde sensible, ceux qui sont en harmonie avec le monde intelligible, dont en réalité nous ne connaissons rien, sinon que notre loi est de nous y conformer ?


Trois méthodes sont possibles pour déterminer le rapport du sensible à l’intelligible ; on peut les appeler : 1o la méthode d’universalisation des maximes, 2o la méthode d’élimination platonicienne, 3o la méthode d’induction platonicienne. La première seule est absolument conforme à l’esprit et à la lettre du kantisme ; les autres, quoique indiquées vaguement par Kant lui-même, ne sont qu’une altération du vrai kantisme par un mélange avec le platonisme.

1o Méthode d’universalisation des maximes. — Cette méthode à son origine non dans l’imagination, principe des schèmes, mais dans l’entendement. « La seule faculté de connaître, dit Kant, qui puisse appliquer la loi morale à des objets de la nature, c’est l’entendement, non l’imagination. Aux maximes de la raison, l’entendement peut soumettre, comme loi pour le jugement, non pas un schème de la sensibilité, mais une loi applicable in concreto à des objets des sens et, par conséquent, pouvant être considérée comme une loi de la nature. » En d’autres termes, il s’agit de trouver non pas une image, ni même simplement une idée du bien moral, mais une loi intermédiaire entre le monde intelligible et le monde sensible, qui puisse s’appliquer aux deux à la fois et servir ainsi de moyen terme. Cette loi commune de la liberté et de la nature ne pourra, selon Kant, renfermer une matière quelconque, ni intelligible, puisque les objets intelligibles nous échappent, ni sensible, puisque les objets sensibles ne sont pas moraux ; elle ne peut donc être qu’une forme. « La seule chose qui convienne à l’usage des concepts moraux, c’est le rationalisme du jugement, lequel ne prend de la nature sensible que ce que la raison pure peut aussi concevoir par elle-même,