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A. FOUILLÉE. — critique de la morale kantienne

Il y a dans la conception du symbolisme en morale une part de vérité que nous sommes des premiers à reconnaître ; mais C’est surtout ici qu’il faut se garder du mysticisme. La question est de savoir si Kant et surtout si les disciples actuels de Kant, principalement ceux qui s’inspirent en même temps de Platon et de Schelling, ont réussi à éviter cet écueil.

Disons d’abord quelques mots du symbolisme franchement mystique dont on trouve des exemples chez Platon et les Alexandrins, puis chez les théologiens du christianisme, Le mysticisme proprement dit prétend d’abord avoir une intuition de l’absolu et du divin, une vision des « idées éternelles » ou des « choses en soi », une communication directe avec l’ « unité », supérieure tout ensemble à l’existence sensible et à l’intelligence, Le mysticisme considère ensuite les actes moraux et les pratiques religieuses comme les symboles de cette intuition, par cela même comme les symboles de l’absolu qu’elle atteint ; la méthode morale se ramène donc pour les mystiques à la détermination des actes qui figurent le mieux, sous une forme sensible et rationnelle, le principe supérieur aux sens et à la raison. Comme aucun de ces actes n’a de vraie valeur par soi, comme il ne vaut que comme signe et signe bien lointain de l’absolu, le mystique arrive à un mépris croissant de la vie réelle et active, parfois à une complète indifférence pour les actes : le repos et le silence lui semblent les symboles les moins infidèles du principe insondable où se perd la pensée même, et auquel il donne parfois le nom de l’ « abime ».

Kant a fort bien montré l’erreur et les excès de ce mysticisme. Le mystique, selon Kant, ne pousse pas encore assez loin son symbolisme : il ne voit point que ce ne sont pas seulement les actions et les pensées humaines qui sont de purs symboles par rapport à la réalité absolue, mais que la prétendue intuition de cette réalité est elle-même une simple conception symbolique, loin d’être une immédiate union avec l’absolu. Le mysticisme prend donc pour une manifestation du divin en nous et pour un schème ce qui n’en est que le symbole.

Kant étend même à la métaphysique tout entière l’accusation qui pèse sur le mysticisme, parce que, selon lui, la métaphysique a toujours une prétention plus ou moins avouée à se représenter l’absolu sous les formes de l’imagination ou de la conscience ; elle ne voit pas que ses « intuitions » ou « connaissances » du divin se réduisent à des symboles détournés de la loi morale, que nous trouvons en nous-mêmes et que nous connaissons seule, selon Kant, d’une connaissance certaine. On pourrait dire que, dans la pensée