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Dans un chapitre trop peu remarqué de la Raison pratique, Kant a bien vu la difficulté, et il a essayé de la résoudre. Nous voulons parler du chapitre intitulé Typique de la raison pure pratique, où Kant recherche quel est le type, la marque générale qui permet de reconnaître les manifestations sensibles de la volonté absolument bonne, et celles du principe contraire. « Puisque, dit-il, tous les cas possibles d’action qui se présentent sont empiriques, c’est-à-dire ne peuvent appartenir qu’à l’expérience de la nature, il semble absurde de vouloir trouver dans le monde sensible un cas qui, devant toujours être soumis comme événement du monde sensible à la loi de la nature, permette cependant qu’on lui applique une loi de la liberté, et auquel puisse convenir l’idée supra-sensible du bien moral qui doit y être exhibée in concreto [1]. » Le jugement sur les actions particulières dans la raison pure pratique est donc soumis, continue Kant, aux mêmes difficultés que dans la raison pure théorique. Mais celle-ci avait sous la main un moyen de sortir de ces difficultés : en effet, dit Kant, pour appliquer ses concepts aux choses sensibles, elle avait comme intermédiaire ces sortes d’ « intuitions à priori » qu’on appelle l’espace et le temps, et qui lui servaient de représentation générale, de dessin général ou de schème. « Mais le bien moral est quelque chose de supra-sensible, quant à l’objet, et par conséquent on ne peut trouver dans aucune intuition sensible rien qui y corresponde. » Le bien moral n’a donc pas de schème ou d’image ; il n’a que des « symboles[2] ». Le seul lien possible entre le phénomène et le noumène pour les kantiens est donc le symbolisme ; la morale tout entière ne peut être pour eux qu’un symbolisme exprimant l’absolu.

  1. P. 238.
  2. Les simples signes, comme les mots ou les lettres algébriques, ne font qu’éveiller par l’association des idées la pensée d’un objet sans avoir aucune analogie avec cet objet même. Les symboles, au contraire, sont analogues à l’objet. « C’est ainsi, dit Kant, qu’on représente symboliquement un état monarchique par un corps animé, quand il est dirigé d’après une constitution et des lois populaires, où par une pure machine, par exemple un moulin à bras, quand il est gouverné par une volonté unique et absolue. Entre un état despotique et un moulin à bras, il n’y a aucune ressemblance, mais il y en a entre les règles au moyen desquelles nous réfléchissons sur ces deux choses et sur leur causalité. » Le symbole « fait passer la réflexion que fait l’esprit sur un objet de l’intuition à un tout autre concept auquel l’intuition ne peut jamais peut-être correspondre directement… » — « Toute notre connaissance de Dieu est simplement symbolique, et celui qui la regarde comme schématique, ainsi que les attributs d’entendement, de volonté, etc., qui ne prouvent leur réalité objective que dans les êtres de ce monde, celui-là tombe dans l’anthropomorphisme. » (Crit. du jugement, trad. Barni, t. I, 335, 386.) Les expressions figurées où hypotyposes, — comme fondement (appui, base), dépendre, découler, substance, etc., — » sont des hypotyposes symboliques et non schématiques. » (Ibid.. 336).