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E. REHNISCH. — hermann lotze

sur les ponts de la métaphysique, avait entrepris « d’appliquer les mathématiques à la psychologie » et avait élucidé dans sa Psychologie mathématique le plan détaillé et ingénieux d’une statique et mécanique du monde psychique. Quételet, suivant une voie différente, laissant de côté les théories supérieures, et résolu de s’appuyer directement sur « l’observation », avait cherché par la réalisation de son idée d’une « physique sociale » à partager la gloire immortelle de Newton et de Laplace.

L’étude des sciences physiques est la passion dominante de notre siècle, et personne plus que Lotze ne s’intéressait à ses succès. Pendant plus de dix ans les sciences physiques semblaient être l’unique but de son activité littéraire ; beaucoup le rangeaient parmi les adeptes de ces sciences, nommément parmi les physiologistes, et ne voulaient pas du tout le regarder comme un philosophe. Une seule fois, on trouve dans la conclusion d’un de ses écrits (qui finissaient toujours au point où « un philosophe » aurait dû commencer) cette déclaration : L’auteur espère revenir dans une autre occasion sur la limite qui sépare l’esthétique et la physiologie ; les Études de Göttingue continrent seulement deux dissertations « sur le concept du beau » (1845) et « sur les conditions du beau dans l’art », que l’on regardait comme le dernier écho des études philosophiques poursuivies autrefois. Mais plus Lotze avait montré d’ardeur dans l’étude des sciences physiques, plus ses idées sur la science et l’esprit scientifique s’étaient formées d’après les mathématiques et la physique, plus il s’était initié à leur méthode et à leurs résultats, moins il avait mis d’arrière-pensée à renoncer à tout ce qui était insoutenable dans le système de la philosophie idéaliste allemande, plus enfin il manifestait ouvertement que le grand cercle d’idées qui nous rappelle les noms de Fichte, de Schellling et de Hegel n’était pas parvenu à donner pleine satisfaction aux intérêts de l’intelligence humaine, plus ils s’attachait fermement à l’opinion que ce à quoi ce cercle d’idées voulait donner satisfaction représentait des intérêts humains véritables et respectables, que l’on ne doit pas déclarer de prime abord comme impossibles à satisfaire, parce que les sciences physiques ne peuvent pas leur donner satisfaction. Plus l’ardeur et l’estime qu’il montrait pour les sciences physiques étaient sincères, plus il était fier de leur succès, moins il était disposé à vouloir qu’elles fussent un mal pour notre siècle, pour les progrès de l’humanité au lieu d’être pour eux une bénédiction. Plus il témoignait de joie en présence des découvertes faites à l’aide du calcul, du microscope et de la cornue, moins il avait envie de mépriser tout ce qui n’était pas calcul ou résultat du calcul et de regarder comme une